DĂšs le coup de sifflet inaugural, nos adversaires se replient dans leur camp, dans un bloc compact et solide. La pluie tombe drue sur la pelouse et tandis quâun frisson me parcourt la colonne vertĂ©brale, je vois mes coĂ©quipiers, sans solution, essayer de passer plein axe encore et encore, ce qui provoque la colĂšre du coach qui fait les cent pas devant le banc.
Peu avant la mi-temps, Kevin Kampl rĂ©cupĂšre le le ballon au niveau du rond central, lance en profondeur Timo Werner qui se dĂ©fait du marquage de son chien de garde, et juste devant le portier adversaire se dĂ©fait du cuir dâune subtile talonnade pour Sabitzer qui reprend plein axe. 1-0 juste avant la pause, le moment idĂ©al pour semer le doute chez nos adversaires.
Pourtant, lorsque les vingt-deux acteurs reviennent sur la pelouse gorgĂ©e dâeau, rien ne change au niveau de la physionomie de la rencontre. Augsburg reste repliĂ© dans son camp malgrĂ© quâils soient menĂ©s au score et mes coĂ©quipiers peinent toujours autant Ă sâapprocher du but averse. Ce statut quo Ă©nerve plusieurs dâentre nous et certains gestes dâhumeurs font leur apparition sur le terrain. Bruma rĂ©colte notamment un carton jaune pour avoir dĂ©gagĂ© la balle aprĂšs quâune faute soit sifflĂ© en faveur de nos adversaires.
Vers la 75e minute, je rentre en jeu, en lieu et place de lâailier portugais, sur lâaile gauche, pour une des premiĂšres fois de la saison. Avant de monter sur la pelouse, Philipp Lahm me donne quelques consignes.
«Reste bien le long de la touche. Déborde et centre dans la surface. Bonne chance !»
AprĂšs avoir tapĂ© dans la main de mon coĂ©quipier sortant, je trottine pour rejoindre ma position. Le jeu reprend doucement, le rythme est bien plus faible. Je crois que le manque de solution et le temps affreux dĂ©courage un peu tout le monde de faire lâeffort de faire de la diffĂ©rence. Jâessaie tant bien que mal de mettre un peu de rythme dans ces derniĂšres minutes, sans succĂšs. Je rĂ©ussis bien quelques dĂ©bordements suivi de centres mais cela se voit que je nâĂ©volue pas dans un rĂŽle habituel pour moi puisque je suis loin de me montrer prĂ©cis.
Le coup de sifflet final arrive comme une dĂ©livrance pour tous. Tout le monde se prĂ©cipite dans les vestiaires pour se mettre Ă lâabri de la pluie. Si le score reste dĂ©cevant, une victoire reste une victoire et dans le cadre de la course au titre, ce genre de rencontre reste capitale.
La premiĂšre mi-temps est poussive, et câest peu de le dire. Pendant 45 minutes, nous enchaĂźnons les tentatives avortĂ©es, les mauvaises dĂ©cisions et les imprĂ©cisions tactiques. Je ne suis pas en reste tant moi aussi, je fais preuve dâimprĂ©cisions. MalgrĂ© un discours se voulant motivant de la part du coach, nous ne jouons pas mieux lors de la seconde pĂ©riode.
A lâheure de jeu, je suis remplacĂ© par Fabrice Hartmann. Le coach nâa rien Ă dire, je vois bien Ă son visage fermĂ© quâil est plutĂŽt déçu de ma prestation. Et ce nâest pas le seul, moi aussi je suis déçu. Jâenfile un survĂȘtement, une veste que je ferme jusquâau cou et mâinstalle sur le banc, le visage fermĂ©, pour assister Ă la fin de la rencontre.
Avec un score nul et vierge, nous nous voyons contraint de nous en sortir aux penaltys. Tout le monde retient son souffle, debout pour assister Ă la sĂ©ance. Bien que la DFB Pokal ne soit pas un objectif prioritaire des dirigeants, surtout Ă la vue de la belle forme en championnat, ce serait dommage dâĂȘtre Ă©liminĂ© si tĂŽt dans la compĂ©tition. Finalement, câest nous qui poussons un soupir de soulagement, lorsque nos adversaires manquent leur quatriĂšme et derniĂšre tentative. Tout le monde se jette sur Yorbe Vertessen, auteur de notre dernier tir pour le fĂ©liciter. Il le mĂ©rite bien, il a Ă©tĂ© un des meilleurs de lâĂ©quipe lors de cette rencontre.
Quatre jours aprĂšs notre victoire aux penaltys, nous recevons Frankfurt pour le compte du championnat. Nos adversaires du jour ont perdu plusieurs de leurs Ă©lĂ©ments de la saison passĂ©e et ne sont plus dans la mĂȘme dynamique. Pour autant, ils ne sont pas Ă sous-estimer comme nous le rĂ©pĂšte le coach pendant son briefing dâavant match.
Au moment de monter sur la pelouse, je respire un bon coup. Je ne devais pas ĂȘtre titulaire aujourdâhui, surement Ă cause de ma derniĂšre prestation, mais une nouvelle gĂȘne Ă la cuisse de Marcel Sabitzer a convaincu le coach de ne prendre aucun risque et de mâinstaller sur la droite du trident offensif. A moi de prouver quâil a bien raison de faire ce choix.
Quelques minutes plus tard, Tyler Adams rĂ©cupĂšre le ballon plein axe dâun joli tacle glissĂ©. Le milieu amĂ©ricain lĂšve la tĂȘte, voit lâappel dâEmil Forsberg le long de la ligne de touche et lui transmet la balle dâune louche prĂ©cise. Directement, je me lance en avant, repiquant dans lâaxe. Ce mouvement sans ballon semble perturber mon vis-Ă -vis qui visiblement, ne sait pas sâil doit me suivre puisque je le vois hĂ©siter trop longtemps avant de lancer son effort. Mais câest trop tard. Je court sur la diagonale du terrain, et en quelques instants me retrouve au niveau de mon coĂ©quipier suĂ©dois qui me remet le cuir de lâextĂ©rieur du pied droit. Je contrĂŽle, me retourne, dribble un dĂ©fenseur adverse et tire de mon pied droit. La balle fuse, frappe le montant opposĂ© avant de faire trembler le filet. Trop facile pense-je.
Une dizaine de minutes plus tard, je rĂ©cupĂšre le ballon Ă la suite dâun geste dĂ©fensif dâun de nos milieux de terrain mais au lieu de me lancer vers lâavant, je lâenvoie immĂ©diatement de lâautre cĂŽtĂ© dâune transversale puissante. Ce geste surprend, surtout que Kevin Kampl sâĂ©tait avancĂ© vers moi pour que je le lui remise mais de lâautre cĂŽtĂ©, Marcel Hoppe, notre latĂ©ral gauche avait levĂ© le bras. Le dĂ©fenseur allemand contrĂŽle facilement le cuir, sâavance rapidement et centre en force. Timo Werner se lance en avant et coupe la trajectoire du front. 2-0, que demander de plus ?
Le jeu reprend plus tranquillement. Nous contrĂŽlons les dĂ©bats et nos adversaires ne se montrent pas particuliĂšrement dangereux pour lâoccasion. A la mi-temps, le coach se montre satisfait de ce que nous montrons, dans une surface comme dans lâautre.
De retour sur la pelouse, nous reprenons sur le rythme tranquille que nous initions à la fin de la premiÚre mi-temps. Le ballon étant confisqué, nos adversaires ne semblent pas savoir quoi faire et pressent de maniÚre désordonnée.
Vers la 53e minute, notre dĂ©fense rĂ©cupĂšre le ballon sur une des rares incursions de Frankfurt. Tyler Adams reçoit le ballon, un petit crochet pour Ă©viter la charge dâun adversaire et remet sur Marcel Hoppe, sur sa gauche. Le latĂ©ral, dĂ©cidĂ©ment en jambe, accĂ©lĂšre brusquement pour rĂ©cupĂ©rer le cuir, passe un joueur et centre en profondeur. Jâavais vu et anticipĂ© son geste. Câest pour cela que pendant quâil avançait, je mâavançais aux abords de la surface. Lorsque le ballon arrive vers moi, je suis un peu trop avancĂ© pour le reprendre sereinement. Je lance alors mon corps en lâair dans une sorte de reprise de volĂ©e un poil bizarre. Mais cela fait son effet. Le ballon propulsĂ© par mon coup puissant sâenvole vers la lucarne gauche. Le portier est battu, il nâaura pas esquissĂ© le moindre geste.
Quelques minutes plus tard, je suis fauchĂ© par un de nos adversaires, juste devant leur surface. Ma cheville droite me fait mal. Je suis alors remplacĂ© par mon ami, Fabrice. Claudiquant, je lui tape dans la main avant de rejoindre notre banc, le visage fermĂ©. Demain câest mon anniversaire, mes dix-huit ans. Ăa aurait Ă©tĂ© un beau cadeau dâinscrire un triplĂ©. Tant pis, ce sera pour lâannĂ©e prochaine.
AprĂšs le match, jâai du passer une radio pour vĂ©rifier lâĂ©tat de ma cheville. Heureusement, elle nâest pas cassĂ©, il y a juste un hĂ©matome sur lâos, bĂ©nin mais douloureux. Et voilĂ que je me retrouve Ă lâarrĂȘt pour au moins quatre jours. Ăa va, ça aurait pu ĂȘtre pire.
Oui, mais aujourdâhui, ce nâest pas un jour comme un autre, et je ne devrais pas ĂȘtre en colĂšre, parce quâaujourdâhui, câest mon anniversaire. Dix-huit ans, enfin majeur. Frank mâemmĂšne dĂźner avec Marie et Cassie au Falco, un lieu chic offrant une vue imprenable sur la ville.
AprĂšs le repas, nous rentrons Ă lâappartement. Cassie a envie de sortir, de faire la fĂȘte, mais tout ce qui mâinterresse, câest de me reposer. Je veux ĂȘtre le plus vite sur pied et jâai en moi la douce utopie que si je mĂšne un mode de vie sain, dâun coup tout va se rĂ©parer en un rien de temps.
MalgrĂ© que je nâai fait mon retour Ă lâentrainement que le 12 fĂ©vrier, le coach fait appel Ă moi pour animer le cĂŽtĂ© droit lors du dĂ©placement Ă Stuttgart. Sabitzer est en phase de reprise, Fabrice est malade, ne reste plus que moi pour ce cĂŽtĂ©. Dâailleurs, je suis alignĂ© pour la premiĂšre fois de la saison au cĂŽtĂ© de Yorbe qui Ă©trenne sa premiĂšre titularisation en championnat, un signal fort de qui devient le numĂ©ro deux au poste de 9, au dĂ©triment de Yussuf Poulsen, trĂšs loin de son meilleur niveau cette saison.
Juste avant la demi-heure de jeu, câest Tom KrauĂ qui a le plaisir dâouvrir le score. Sur un corner bottĂ© par Forsberg, le milieu vient au milieu de la mĂȘlĂ©e, saute plus haut que tout le monde et reprend le cuir du front. Une grosse dizaine de minute plus tard, Yorbe aggrave le score en reprenant lui aussi de la tĂȘte le ballon sur un centre tendu de Marcel Hoppe, nous laissant Ă la mi-temps avec une confortable avance au tableau dâaffichage.
De retour sur la pelouse, les locaux se montrent dĂ©terminĂ© Ă rĂ©duire le score. Mais trop tard, leur chance est passĂ©e. Nous avons le pied sur le ballon et mĂȘme si nous avons plus de mal Ă avancer Ă cause de leur pressing agressif, ils ne montrent Ă aucun moment dangereux devant notre cage.
A la 78e minute, nous inscrivons un troisiĂšme but, en vĂ©ritable remake du prĂ©cĂ©dent. Tom KrauĂ rĂ©cupĂšre le ballon, lance Marcel Hoppe le long de la ligne de touche. Le latĂ©ral dĂ©borde son vis-Ă -vis et centre en force pour Yorbe qui place sa tĂȘte au bon endroit au bon moment pour prendre Ă contre pied le portier adverse. Quel match pour mon coĂ©quipier, mon ami.
Quelques minutes plus tard, Stuttgart lance une grande offensive, la premiÚre réellement dangereuse de la seconde mi-temps qui se conclu par un tir non cadré. Notre gardien relance rapidement vers Nordi Mukiele qui avance avant de me lancer en profondeur, le ballon roulant le long de la ligne de touche. Je récupÚre le cuir, évite la charge du latéral, pivote et avance vers la surface adverse. AprÚs avoir facilement dribblé un de leurs centraux, je tire en force. Le ballon frappe le poteau et fait trembler les filets. 4-0, la messe est dite.
Forts de notre confortable avance, nous ralentissons encore le rythme et maĂźtrisons la partie, ce qui semble Ă©nerver nos adversaires qui se montre plus agressif encore. Alors que nous entrons dans le temps additionnel, je reçois un ballon relativement loin du but adverse. Mon contrĂŽle est interrompu lorsque je sens une semelle appuyer contre ma jambe et un corps me basculer dessus. Je tombe avec lâautre joueur sur moi. Lâarbitre siffle immĂ©diatement et sort la carte jaune, pas cher payĂ© pour un tacle par derriĂšre. Je grimace de douleur, ma cheville droite me fait mal et gonfle Ă vue dâĆil. Pas le choix, je sors pour me faire soigner.
A lâissu de la rencontre, je pars passer quelques examens. Le bilan est sans appel : Entorse et deux semaines dâarrĂȘt minimum. Je suis Ă©videmment super déçu. Nous allons rencontrer lâAtlĂ©tico Madrid en Ligue des champions, et jâaurai aimĂ© en faire partie.
Cela fait maintenant dix jours que je traĂźne mon spleen loin des terrains dâentraĂźnements. De mon canapĂ©, jâai assistĂ© Ă la dĂ©faite cinglante sur le score de 3-0 en Ligue des champions et la mauvaise prestation de mon « concurrent », Marcel Sabitzer. Le pauvre, pas encore au top et propulsĂ© dans un mach Ă enjeu, pas vraiment un cadeau.
Pour passer le temps, je joue encore et encore Ă la console. Cela mâoccupe quand les autres sont au travail ou juste occupĂ©. Pendant une partie de GTA, alors que je suis tranquillement occupĂ© Ă Ă©craser la totalitĂ© des piĂ©tons que je croise, mon tĂ©lĂ©phone sonne. Je nâai pas vraiment envie de parler Ă quelquâun mais bon câest tellement rare, il faut bien que je rĂ©ponde quand ça arrive. Je met le jeu sur pause et dĂ©croche prestement.
«Bonjour Tom, câest Mary Schröder. Je ne te dĂ©range pas ?»
Je suis surpris quâelle mâappelle. Habituellement, je reçois juste un message pour me confirmer la date du rendez-vous suivant, prit Ă la fin de la consultation.
«Je tâappelle car jâai une mauvaise nouvelle. Une canalisation a Ă©clatĂ© et inondĂ© mon cabinet. Pour la durĂ©e des travaux, je vais faire mes consultations chez moi. Ăa ne te dĂ©range pas ?»
«Non du tout. EnvoyĂ©e moi lâadresse et je viendrais.» dis-je.
A la fin de la communication, je reçois un SMS avec la confirmation de notre prochain rendez-vous : Lundi 2 mars Ă 19h00. Tandis que je note cela sur le calendrier qui trĂŽne dans ma cuisine, jâattrape de lâautre main une biĂšre dans le frigo. Le professionnalisme attendra, aujourdâhui, jâai soif.