Villarreal CF - Le Miracle du Madrigal.
Miracle. Le seul mot capable de dĂ©finir ce match unique. MenĂ©s 3-0 Ă la pause, aprĂšs une premiĂšre pĂ©riode de rĂȘve du FC Barcelone, le sous-marin jaune a rĂ©ussi Ă revenir de nulle part. Trois buts en vingt minutes, un capitaine en flammes et un hĂ©ros improbable. Pourquoi ? Comment ? Mieux vaut ne pas chercher Ă comprendre. Et croire au miracle. De toute façon, on nâa pas trop le choix.
Il est formel. Leo Messi a bien marquĂ© ce 4e but. Il reste trois minutes dans ce match quâil ne sentait pas vraiment. Le buteur argentin de Barcelone nâen dĂ©mord pas, il a bien suivi sa reprise de la tĂȘte, le ballon est Ă quoi⊠deux mĂštres des buts. Il a frappĂ© trĂšs fort les yeux fermĂ©s. Quand il les a ouverts, le ballon nâĂ©tait pas au fond. Vietto nâa jamais trop compris comment il nâa pas marquĂ©. Victor Valdes nâa jamais compris non plus comment il a rĂ©alisĂ© cette parade. Il va le comprendre une dizaine de minutes plus tard. Il va comprendre quâil est juste gagnĂ© par la folie. Pourquoi sâest-il mis Ă danser comme Charles Itandje devant Messi pour le penalty du nul a la 94eme ? Comment a-t-il dĂ©tournĂ© les tentatives de Suarez et Messi encore, lui un peu plus tot, lâancien gardien du Barça ? Warhol aurait parlĂ© de son quart dâheure de gloire, son prĂȘtre dâune aide divine et les supporters de Barcelone dâune succession de coups de bol. Il nây a pas de rĂ©ponse dĂ©finitive, juste un constat : Valdes a Ă©tĂ© le hĂ©ros de la plus folle des demi finales aller de Ligue des champions. Oui, valdes.
Sur ce match au scĂ©nario aussi improbable que son hĂ©ros allemand, tout a dĂ©jĂ Ă©tĂ© dit. Alors rien ne vaudra jamais mieux que le tĂ©moignage de ceux qui lâont vĂ©cu, comme Palmo Almodovar, rĂ©alisateur de La Piel que habito, mais dont le meilleur film porte peut-ĂȘtre sur ce match. « JâĂ©tais Ă Villarreal pour cette demi finale. Jây suis allĂ© tout seul. Ăa mâa coĂ»tĂ© une fortune alors quâune fois au stade, les espagnols refilaient leurs billets pour rien. Ce soir la au Madrigal, on pouvait sâasseoir oĂč on voulait, ce qui fait que ma place Ă 2000 euros, jâaurais pu lâacheter 10 euros au stade⊠Bref. Câest le plus grand match de lâhistoire du football. Je nâai pas pu en regarder dâautres depuis, tellement ça nâavait plus aucun sens. Ăa ne voulait plus rien dire. AprĂšs ce match, il nây avait plus rien. Ă la mi-temps, Ă 3-0, jâai appelĂ© ma femme, je lui ai dit que je ne pouvais plus rester lĂ , que je voulais rentrer, me barrer en courant. Elle mâa dit : âTu sais, tu as fait des efforts pour y aller, tâes un fan de Villarreal donc tu nâabandonnes pas tu mâentends ? Jamais !â De toute façon, on ne pouvait pas sortir du stade. Les bus Ă©taient Ă cinq kilomĂštres du stade, donc je suis revenu en tribune. JâĂ©tais au poteau de corner, avec 20 000 supporters de Villarreal derriĂšre moi. Jâavais une petite camĂ©ra HD. Je lâai tendue Ă bout de bras, de sorte que, dans le film, on me voit de profil avec la tribune derriĂšre, sans jamais filmer le terrain. Jâai passĂ© une heure le bras tendu, sur le cĂŽtĂ©. Jâai la deuxiĂšme mi-temps jusquâau penalty de la 94eme, et jâai tout, tout tout⊠Ce film est fou. »
« Jâai fait passer Trigueros arriĂšre-droit »
Autres propos, encore plus prĂ©cieux sans doute, ceux du coach de Villarreal, monsieur Juan Roman Riquelme, interrogĂ© par Alex Ruiz, journaliste de Bein Sport aka The Technician dans le milieu : « En rentrant au vestiaire Ă la mi-temps, jâai songĂ© Ă ce quâil fallait dire et Ă la maniĂšre de le dire. Les gens ne savent pas Ă quel point il est difficile de vivre de tels moments, en particulier si vous ne savez pas quelles paroles il faut prononcer. Avant la mi-temps, nous perdions 2-0 et jâĂ©tais en train de rĂ©diger quelques mots quand nous avons soudainement encaissĂ© un troisiĂšme but. Pendant que je traversais le tunnel menant aux vestiaires, je rĂ©flĂ©chissais Ă ce quâil fallait dire. Jâai dit aux joueurs que nos supporters Ă©taient toujours derriĂšre nous et que si nous marquions un but, la situation pouvait changer. Jâai procĂ©dĂ© Ă des changements tactiques et alignĂ© trois hommes en dĂ©fense avec Eder Balanta comme composante de la couverture Ă deux hommes au milieu du terrain. Mais, plus important encore, avec la blessure de Mario, qui nâa pu disputer la deuxiĂšme mi-temps, nous nâavions plus de latĂ©ral droit sur le terrain. AprĂšs le 3-3 et Barcelone qui place Messi sur la gauche, jâai dĂ»Ì dĂ©placer Manu Trigueros en le faisant passer de son rĂŽle offensif derriĂšre les attaquants de pointe au poste dâarriĂšre droit. Manu Ă©tait le seul joueur Ă mĂȘme de tenir ce rĂŽle, le troisiĂšme poste occupĂ© par notre capitaine dans ce match. Ă la fin, nous avons contrĂŽlĂ© le jeu, les espaces et Manu a effectuĂ© un travail formidable, menant finalement lâĂ©quipe en vue dâune qualification inespĂ©rĂ© au retour. »
Martyr sauvé
RĂ©sumer la remontĂ©e de Villarreal au seul gĂ©nie de Trigueros serait pourtant rĂ©ducteur. Avec trois buts de retard Ă la pause, un Ă©niĂšme chant assourdissait, plus encore, le stade Madrigal. Tous les journaux du lendemain en parlaient comme dâune « incantation ». Et Villarreal sait nous plonger dans le mystique, elle qui « joue Ă merveille son rĂŽle de citĂ© martyre du ballon rond » dixit Philippe Broussard dans son GĂ©nĂ©ration Supporter. LâĂ©quipe de Riquelme avait en effet tout du martyr Ă domicile avec 3 buts dans les dents et deux hommes sur le flanc â Mario et Gaya - dĂšs la mi-temps. Comment un coach peut-il dĂ©cemment dire Ă ses joueurs que trois buts se remontent en 45 minutes, face au Barça, en demi finale de C1, grĂące Ă lâappui des fans ? Dans les colonnes de As, Juan Roman essayait de lever le voile sur cette folle soirĂ©e : « Cette soirĂ©e-lĂ , on a 100% de rĂ©ussite. Lorsque je rĂ©alise les changements, lâĂ©quipe sâamĂ©liore, heureusement. Mais ce jour-lĂ , câest lâesprit du club qui lâa emportĂ© sur toutes les considĂ©rations technico-tactiques. Câest pour ça quâil est important de garder cette mentalitĂ© Ă Villarreal. Toutefois, je nâaime pas la notion dâhĂ©roĂŻsme dans le football. Quand nous devons en arriver lĂ pour remonter un match et rester en vie, ça veut dire que nous avons mal fait les choses. En tant quâentraĂźneur, je nâaime pas encaisser de but. DĂ©fendre, ce nâest pas seulement aligner dix dĂ©fenseurs devant le gardien de but. Une Ă©quipe qui dĂ©fend bien, comme Villarreal, câest une Ă©quipe qui a beaucoup de coordination. »
Villarreal nâavait finalement fait quâutiliser lâarme habituelle du martyr : le sacrifice. Il Ă©tait tactique pour Riquelme et Trigueros ; physique pour les cordes vocales des tribunes Jaunes, contre toute raison. Sauf quâen ce 28 Avril 2016, pour une fois, le martyr ne meurt pas. Mystique quoi. Un miracle.