J’entre chez moi, et d’entrée la situation m’intrigue : Rosie a l’air à moitié surprise, aux aguets, presque effrayée de me voir. Bordel, comment on décrit ce genre d’impression ? Debout dans le salon, en train de faire les cent pas il y’a ce mec en costume. Que je ne sens pas… pas du tout.
Et je le connais ce type, pour l’avoir déjà vu plusieurs fois. Ce genre de mec pour qui l’argent c’est tout : grosse bagnole, grosse maison, grosse bouteille de champagne en soirée. Par contre les filles ce n’est pas du tout grosses qu’il les préfère. On a fait quelques soirées avec lui, notamment une dans sa villa (oui Monsieur a une villa), où l’on s’est pris la tête avec Rosie. J’étais énervé par le fait que l’argent lui fasse tourner la tête aussi vite, et jaloux de ce mec. Elle était plutôt impressionnée, attirée, et admirative d’un mec capable de construire une telle vie de luxe. Ce n’est peut être pas sain, mais c’est ce qui m’a donné envie de la demander en mariage… Réflexe défensif ? Envie de lui montrer mon engagement ? Toujours est-il que ce mec, je ne l’aime pas. Point.
“Salut John…tu tombes bien”. Merde, sa voix est blanche, sans aucune émotion. Elle ne s’est pas levée. Rien du tout.
“Je t’attends dans le couloir” dit son connard en costume, passant à côté de moi sans me jeter un regard.
“Je peux savoir ce qui se passe Rosie ? Qu’est-ce qu’il fout là ? Qu’est-ce qu’il raconte ?”
“Ecoute John, il faut que je te dise quelque chose. Je… je dois partir quelques temps.”
“
Partir ? D’ici ? En voyage ? A ton ton on dirait que c’est définitif. Qu’est-ce qui se passe ? “
Je panique, clairement, je ne comprend pas ce qu’il se passe, mais je constate pour la première fois deux grosses valises Gucci que je n’ai jamais vues dans mon salon. Je ne la laisse pas répondre :
“Attend tu te casses ? Tu me quittes ? C’est quoi ce bordel, tout se passe bien entre nous, on a un problème que j’ai raté ?”
“Non ce n’est pas ça du tout… je… j’ai beaucoup réfléchi… J’ai beaucoup d’envies et de projets, dans le monde de l’art, de la mode… Et je ne crois pas que ce soit toi qui puisse m’aider à les accomplir tu comprends ? Sébastien m’a proposé une… sorte de bourse. Pour l’accompagner en voyage, gérer mon propre fond dans l’art et dans la mode comme je le sens, chercher des sponsors et des partenaires… Tu vois un projet passionnant qu’il ne faut pas rater !”
“Mais ça implique forcément que tu me quittes ça ? Tu peux pas partir en voyage quelques jours ou semaines et revenir ici ?”
“Non… ce n’est pas possible… C’est… une des conditions du deal” Elle baisse, la tête, j’enrage, je boue de l’intérieur…
“Ecoute… Je dois avoir de l’ambition, on parle de millions d’euros là, tu as vu sa voiture ? Tu as vu notre Clio ? On a été dans un restau de burger pour notre anniversaire… Sébastien m’emmène au Fouquets ce soir avant qu’on décolle demain matin pour New York…”
“En gros… tu me quittes pour de l’argent c’est ça ?”
“Ce n’est pas que l’argent… ce sont les projets, la vie, l’avenir. Tu avais quoi comme projet pour nous toi ? Tu avais quelles ambitions ? Tu comptais m’offrir quelle vie ?“
Ma main a serré la boîte de la bague toute la conversation, au point que mes phalanges me font mal. Je finis par la lancer à ses pieds, mollement.
Enfin de l’émotion chez elle, surprise, tristesse… Puis, vite, ce visage fermé. Elle ouvre la boîte… paraît émue. Mais la referme.
“Je suis désolée… si j’avais su… j’aurai dit quelque chose avant… Mais… crois moi c’est comme de gagner au loto : je ne suis pas en mesure de faire des sentiments, j’ai un rêve à accomplir… Toi… tu peux trouver quelqu’un de bien, quelqu’un de simple, qui aimera la même vie que toi !”
La colère déborde… Pour la première fois de ma vie j’ai envie de frapper une femme. Je me retiens, la regarde une dernière fois, lâche une insulte… puis me retourne et sors de l’appartement en claquant la porte.
Sébastien… juste derrière. En train d’écouter peut être ? Son sourire narquois me fait bouillir. Il me regarde de haut, me tapote l’épaule.
“Je suis désolé mec… Mais tu comprends, le fric c’est une drogue : tu mets la main dans l’engrenage de ce monde, et tu ne peux plus t’en passer. Elle a entrouvert la porte… et n’a plus voulu en sortir… Il faut la comprendre. Et puis… je ne pense pas qu’elle se projetait avec toi tu sais… “
Je ne sais plus quelle volée d’insulte j’ai réussi à sortir en me retenant de l’éclater contre un mur. Je n’ai jamais fait autant d’effort de ma vie. Il s’est penché une dernière fois vers moi :
“Tu sais… ta Rosie… Je me la suis déjà envoyée, dans ma piscine, entre autre. Tu sais quoi ? Je crois qu’elle a joui au moment où je lui ai parlé de mon premier million d’euros”
Finalement, son sourire narquois s’est effacé. Bien aidé par mon poing dans sa face…