

San Francisco, le jeudi 26 novembre 2020
Il est déjà tard dans l’année quand je suis reçu chez Anthony Precourt, le Chief Executive Officer de « The Two Oaks », groupe qui détient l’équipe d’expansion de la MLS cette année, le Austin FC. Anthony Precourt est également le fondateur de l’équipe du Texas, la troisième de l’état à faire son entrée en MLS.

Devinez quoi ? Son père est né avant lui ! Vous avez peine à le croire hein ? Jay Precourt Senior a travaillé dans le pétrole toute sa vie même s’il s’est tourné davantage, au tournant du siècle à l’arrivée de la retraite, vers l’efficacité énergétique, notamment auprès de l’université de Stanford. Vous comprendrez qu’en plus d’être né après son père, Anthony n’est pas né tout nu (je me demande ce qu’il portait tiens, un trois-pièces, une bavette, un pyjama ?)
Sous son doux nom à consonance française, Jay Anthony Precourt Junior, Anthony pour les intimes, est originaire de Denver, Colorado, a étudié dans le Connecticut pour maintenant habiter en Californie, à San Francisco. Il possède cependant une résidence à Austin. Il se dit que ce n’est un donateur républicain arrogant et dépensier, même qu’il voterait Démocrate. Les cordons de la bourse ne seront pas desserrés facilement je crains. Il fut d’ailleurs le propriétaire du Columbus Crew jusqu’à l’an passé, ce ne fut pas sous son égide le club le plus dépensier de la ligue…
Ces derniers jours, à la surprise générale, The Two Oaks ont décidé de se séparer de leur entraîneur-chef, Josh Wolff, pour redonner un nouvel élan au club, qui stagne selon leurs dires. J’ai fait jouer mes relations et j’ai réussi à obtenir audience auprès de l’homme fort du club. Il faut dire que j’en ai croqué de plus coriaces au pays de Vladimir.
« Mon cher Monsieur Beaubien, vous avez un bien joli nom. Aaahhh ces noms français, quel piège à filles ! Les Américaines se pâment devant l’accent français, que je prenais souvent pour les séduire, mon nom faisait le reste. Et ma voiture aussi. Quelle collection j’ai eue ! À l’université Pepperdine où j’ai gradué en Sciences-Po, j’avais un véritable femme-club autour de moi. »
Ces Américains ont un art consommé pour briser la glace, pour vous mettre à l’aise pour pouvoir parler affaires – et argent – sans retenue ensuite. Trêve de bavardages légers, il entre dans le vif du sujet et m’explique son projet. Il veut qu’Austin devienne un bon club de MLS, avec de bons moyens. Il semble viser le milieu de tableau. On est loin d’Atlanta ou du LAFC, où les propriétaires annonçaient d’emblée qu’ils voulaient être les meilleurs du continent ! Bref, un poste sans trop de pression, sans trop de moyens, mais avec un tout nouveau stade qui sera prêt à temps.
J’ai quelques questions, notamment au sujet de mon prédécesseur.
« Houlàlà, toute une histoire ! me répondit-il. Écoutez-moi ça. Il y a une semaine, mercredi dernier donc, nous avions une très grosse réunion d’équipe. Nous devions approuver les grandes lignes pour commencer à construire l’équipe pour la saison à venir. J’avais demandé aux six autres propriétaires, des hommes d’affaires très pris, de venir au siège social du club. J’avais dû insister sur le caractère exceptionnel de la réunion pour les convaincre tous : Josh Wolff devait nous présenter tout le travail effectué depuis plus d’un an. Il nous avait promis une dossier aussi complet qu’infaillible pour conquérir la MLS en moins de 5 ans. Il avait travaillé d’arrache-pied m’assurait-il, les dirigeants en auraient plein la vue. Il avait de nombreuses pistes pour lancer l’équipe. Il avait aussi insisté tout l’été pour que rien ne filtre, pour ne pas dévoiler notre jeu trop tôt. Bref, c’était THE briefing de début de saison, devant tous les décideurs. »
« Le jour venu, je me suis rapidement inquiété. La réunion avait lieu à 10h, et l’heure approchait et je ne le voyais pas arriver. J’ai essayé de l’appeler, en vain. À 10 heures, personne. Je ne vous dis pas l’humeur des dirigeants… J’ai demandé à mon chauffeur de foncer chez lui pour voir ce qu’il était arrivé. Je craignais la pire, personne n’aurait raté un tel rendez-vous. À 10h45, mon chauffeur m’appelait. Devant l’absence de réponses à sa porte, il avait appelé la police et l’ambulance, qui ont défoncé la porte pour porter secours à Josh… »
Monsieur Precourt fait une pause. Visiblement, il est encore tout retourné de cet épisode.
« Monsieur Beaubien, essayez de devinez ce qu’il s’était passé.
– Euhh je ne sais pas. Il avait eu une crise cardiaque ? Il était mort ?
– Non, vous l’auriez appris dans les médias dans ce cas-là.
– Alors je ne sais pas, je donne ma langue au chat.
– Il s’était saoulé toute la nuit et cuvait son vin accompagné d’une prostituée ! En pleine semaine ! La veille de la méga-réunion de lancement de saison au club ! Vous pouvez le croire vous ? »
Je restai sans voix ! Comment une telle chose fut-elle possible ?
« Le lendemain, il est venu au club, il était hagard, perdu. Il criait au coup monté ! Le pauvre homme avait perdu la raison, ses explications ne tenaient pas debout. Je vous fais un petit résumé de ses élucubrations :
Je ne comprends plus rien. Il y a deux jours on était en juillet 2019 et aujourd’hui nous sommes en novembre 2020 ! Avant hier, j’étais tranquillement passé prendre un verre au bar près de chez moi, c’était l’été, la vie était belle. Et j’ai rencontré un type bizarre, un Russe ou un Canadien, je n’ai pas trop compris. Il m’a reconnu et nous avons avons beaucoup parlé Soccer ensemble, il faut dire qu’il s’y connaissait le bougre. Il payait des verres, trop de verres, si bien que j’ai fini par être ivre. Il m’a alors proposé de me reconduire, après avoir pris un thé pour me remettre. Un Rooibos de Tchernobyl, m’a-t-il dit, je m’en souviens très bien. Ensuite, nous sommes partis en voiture. Il avait une Delorean, ça aussi je m’en souviens très bien, on en voit peu des voitures comme ça. À partir de là, c’est le trou noir… jusqu’à ce que je sois réveillé par la police hier matin. Que s’est-il passé entre juillet 2019 et novembre 2020 ? Mystère…
« Ça ne tient pas debout, dis-je.
–Je ne vous le fais pas dire. Vous comprenez que, dans de telles conditions, je n’avais pas le choix que de me séparer de lui. Pauvre homme… Il a soi-disant passé plus d’un an à travailler dans le secret alors qu’en réalité il n’a rien fait du tout. Pourtant, nous avons eu quelques rencontres et il semblait bien préparé, il semblait travailler dur. Et voilà, il y a une semaine nous avons découvert le pot aux roses. Il m’a bien eu, j’ai marché aveuglément dans ses manipulations ! Et de quoi j’ai eu l’air devant les autres investisseurs moi ?
–J’ai une solution pour vous, Monsieur Précourt. (1) Nommez-moi entraîneur-chef d’Austin, vous ne le regretterez pas. En plus, vous sauvez la face en vous retournant sur un dix cents. »
(1) en français dans le texte
Monsieur Precourt semble hésitant.
« Vous connaissez mes faits d’armes : la MLS, ça me connaît. (2) J’ai aussi officié en Europe. Je suis un fin limier, un stratège, qui ne s’entoure que des meilleurs. Je signe maintenant et vous sauvez la face devant vos partenaires d’affaires. En plus, moi je vous promet un titre en trois ans, pas cinq ! »
(2) Je conserve toujours mes expériences antérieures à 2016, période où les voyages en Delorean ont commencé, avec le Dynamo Moscou.
Ainsi je devins le sauveur du Austin FC, et de son propriétaire et fondateur.
Quant à Josh Wolff, il s’est retiré du football… Je suis content de ne pas l’avoir croisé dans un couloir. Il avait beau être saoul en cette belle soirée arrosée de juillet 2019, il aurait pu me reconnaître, qui sait…