A lâentraĂźnement de cet aprĂšs-midi, une scĂšne bien anormale. Alors que je demande aux joueurs dâaider le staff Ă ranger le matos dâentraĂźnement, voilĂ quâils installent cinq chaises au milieu du terrain et que deux joueurs vont chercher mon fils et mon cousin qui sont en tribunes. Ils les installe sur une chaise mais moi Ă©galement ainsi que les deux joueurs et nĂ©s Ă lâĂ©tranger (Jordan Maufroy en Belgique et Tor-Lawrence Manaâo aux USA). Mon cousin nâest pas rassurĂ©: « ils pratiquent le cannibalisme aux Samoa? Câest pas interdit? » Nous voilĂ tout les cinq comme des imbĂ©ciles sur ces chaises Ă regarder le groupe face Ă nous. Milo Tiatia prend la parole:
« On est lâĂ©quipe des Samoa AmĂ©ricaines. On a une culture des Samoa, des valeurs des Samoa, un style des Samoa, notre tiki-taka est samoan, nous pratiquons du foot samoan. On doit se prĂ©senter pour le dernier match comme une Ă©quipe avec les valeurs des Samoa. Vous lĂ , les trois petits français. Devenez Samoan pour quâon soit tous unis. Nous allons vous transformer en samoan. Quant Ă vous mes chers expatâ, vous ĂȘtes samoan mais il vous manque un truc pour avoir le coeur samoan. On va vous lâoffrir! »
Il se retourne vers les autres joueurs et hurle: « PRĂT LES GARS? » ce Ă quoi rĂ©pondent par lâaffirmative les interrogĂ©s.
Et câest ensemble que le groupe nous fait une dĂ©monstration de haka!
Ils nous invite ensuite Ă nous entraĂźner au haka. Mon fils va adorer mais avouons-le, les adultes aussi! Nous voilĂ , grĂące Ă ce haka, unis en tant que samoan!
Aujourdâhui, nous sommes le premier avril. Je vais faire une petite blague Ă mes joueurs. Lors de lâentraĂźnement, je crĂ©e, avec la complicitĂ© de mon staff, un exercice ultra-compliquĂ© avec des rĂšgles impossibles Ă comprendre. Bien entendu, mes joueurs ne sâen sortent pas. Alors je me mets Ă jetter mon sifflet au sol « vous ĂȘtes vraiment des bons Ă rien. Allez, 19 tours de terrain! » LĂ , plusieurs joueurs se mettent Ă hurler: « COACH, VOUS NOUS CASSEZ LES PIEDS. ALLEZ VOUS FAIRE VOIR AVEC VOTRE ENTRAINEMENT INUTILE! » Ils jettent tous leur maillot Ă terre et viennent hurler devant moi avant de rentrer au vestiaire.
Mais quâest-ce que jâai fais? Je mâattendais juste Ă ce quâils rĂąlent et je leur aurait annoncĂ© mon poisson dâavril. Je viens de tout gĂącher. Mon adjoint est inquiet « va les voir de suite. Il faut crever lâabscĂšs. » Il a raison. Jâouvre la porte du vestiaire un peu inquiet!
« POISSON DâAVRIL » et les joueurs explosent de rire. Je suis pris Ă mon propre piĂšge. Le staff a en fait oeuvrĂ© contre moi pour que je me fasse avoir. « Allez les gars, retournez Ă lâentraĂźnement. On a bien rigolĂ©. On rigolera mieux demain soir aprĂšs la qualifâ! » Et ils retournent Ă lâentraĂźnement tout sourire! Un sacrĂ© groupe que jâai lĂ !
VoilĂ . Nous y sommes, le jour de notre finale. Pourtant, ce bel aprĂšs-midi dâAvril va mal commencer pour nous⊠Les Samoa sâimposent 4-0 contre les Iles Cook. Comme ils ont une meilleure attaque que nous, cela nous oblige Ă lâemporter par cinq buts dâĂ©cart.
Mais mes joueurs ne sont pas dĂ©faitistes. Ils sont dĂ©terminĂ©s. Et je tiens mon discours dâavant-match dans la mĂȘme mentalitĂ©: « les gars, 5-0. On peut penser que câest impossible mais ça ne lâest pas. On peut rĂ©aliser lâexploit. Si on le fait, on parlera encore de vous dans 50 ans. Vous serez les hĂ©ros de cette nation pour quelques temps et vous effacerez le rugby durant quelques jours. Vous ĂȘtes forts les gars. Tous ensemble on va le faire. Jâai changĂ© mon systĂšme tactique. On va se jeter Ă lâattaque. Les Tonga ne nous attendent pas lĂ , on ne lâa jamais testĂ© Ă lâentraĂźnement mais vous allez y arriver. Le tiki taka AmĂ©ricano-samoan va lâemporter ».
Jordan Maufroy, le capitaine, prend la parole derriĂšre moi: « on ne va pas abandonner les gars. Si certains baissent les bras, quâils le disent et quâils restent sur le banc. On y va pour les broyer les mecs. Je veux des guerriers, des combattants, le coach nous accorde sa confiance et on va le faire. »
Mon cousin prend la parole Ă son tour. Je crains le pire⊠« On a vĂ©cu dâexcellents moments tous ensemble. Quoi quâil arrive, demain câest fini car ce tour prĂ©liminaire sâarrĂȘtera. Mais jâai envie quâon sâamuse Ă nouveau dans quelques mois en Australie ou en Nouvelle-ZĂ©lande. On va encore rire et faire les cons, ok? Et on va tous les dĂ©foncer! » Je finis en ajoutant: « Vous ĂȘtes des mecs en or, soyez des footballeurs lĂ©gendaires! » On se tape tous dans les mains et les joueurs rentrent sur le terrain. Pendant lâhymne je sens de la tension. LâĂ©quipe des Samoa nous observe depuis la tribune.
Le coup dâenvoi est sifflĂ©. AprĂšs deux minutes de jeu seulement, Puni Samuelu ouvre le score dâune frappe Ă lâextĂ©rieur de la surface. Ce que je pensais fonctionne. LâĂ©quipe des Tonga ne sâattendait pas Ă ce quâon les prenne Ă la gorge. Mais le score ne bougera plus jusquâĂ la pause malgrĂ© une ultra-domination. Les joueurs rentrent au vestiaire tĂȘte baissĂ©e.
« Je ne veux pas voir de tĂȘte basse. Il reste quatre buts. Câest faisable. Avec plus de rĂ©alisme, de rĂ©ussite, on menait 5 ou 6-0 Ă la pause. Relevez la tĂȘte et mettez la balle au fond! »
Est-ce que mon discours a fonctionnĂ©? A la 47e, lâarbitre siffle un penalty. Jordan Maufroy prend directement le ballon, tire et marque. 2-0. A la 50e, câest Ă Roy Ledoux de tenter sa chance depuis lâextĂ©rieur de la surface. Sa frappe tape le poteau et rentre. 3-0. Le stade et ses 1 200 spectateurs commencent Ă y croire. Il reste 40 minutes!
Mon Ă©quipe est hĂ©roĂŻque. A la 58e minute, Jordan Maufroy tente Ă son tour depuis lâextĂ©rieur de la surface. Pleine lucarne! 4-0. Le stade chavire. Je me retourne vers les tribunes. LâĂ©quipe des Samoa baisse la tĂȘte. Nous sommes proche de lâexploit.
Trois minutes plus tard, Ă la 61e, un centre venu de la droite trouve la tĂȘte de Tor-Lawrence Manaâo. Elle finit au fond! 5-0. Les joueurs se congratulent tous, mon staff me saute dans les bras, le stade est euphorique. On discute tactique avec mon adjoint pour savoir quelle mĂ©thode adopter. Câest la 64e minute et les Tonga viennent dâinscrire leur premier but. 5-1. Tout est Ă refaire. On doit repartir Ă lâattaque Ă fond. Mais mon Ă©quipe a tout donnĂ© et ce but leur a mis un sacrĂ© coup sur la tĂȘte. Aux 73e et 74e, les Tonga inscrivent deux buts coup sur coup. 5-3. La messe est dites. Nous sommes Ă©liminĂ©s. Au coup de sifflet final, mes joueurs sâeffondrent. Le rĂȘve est passĂ© si prĂšs. LâĂ©quipe des Samoa se congratule en tribunes et vient sur la pelouse fĂȘter ça avec leurs supporters.
Mes joueurs rentrent au vestiaire, effondrés. Beaucoup pleurent.
Jâessaie de prendre la parole: « les gars, vous ĂȘtes tous jeunes et talentueux. Continuez ainsi dans vos clubs et en 2028, nous franchirons lâobstacle. » Mais personne ne semble mâĂ©couter. Je vais dans le vestiaire du staff. Je suis seul, les larmes coulent. Nous ne jouerons pas la Coupe dâOcĂ©anie. Un rĂȘve est passĂ©âŠ
Le rĂ©veil est difficile. Jordan et Tor-Lawrence ont quittĂ© le groupe tĂŽt dans la matinĂ©e pour prendre un avion pour lâAustralie et de lĂ une correspondance pour retourner dans leur pays respectif (Belgique et Etats-Unis). Mon cousin, lui a disparu. Aucune nouvelle de lui depuis lâaprĂšs-match.
Mes joueurs quittent lâhĂŽtel les uns aprĂšs les autres. Tous ont des signes dâune toute petite nuit. Aucun nâa le sourire. Le prĂ©sident de la fĂ©dĂ©ration devait venir pour les remercier, il est retenu Ă son bureau pour des histoires de piratage informatique. Câest seul que je dis au revoir Ă mes joueurs. Je ne sais quoi le dire. Quelques mots pourraient suffire mais les maux resteraient malgrĂ© tout prĂ©sent.
Ils sont tous partis. Mon staff Ă©galement. Je remercie le personnel de lâhĂŽtel et quitte Ă mon tour les lieux avec mon fils.
Quand jâarrive chez moi, je vois ma femme, la mine triste. Elle sâĂ©tait prise au jeu, nous soutenait. Nous nous prenons tous dans les bras. « Il y aura des jours meilleurs » me dit-elle. Elle a raison, le plus dur commence: rebondir!