Chapitre 4 “L’étranger”
L’automne s’est abattu sur la Silésie comme une chape de brouillard. Les forêts autour de Polkowice se sont teintées d’orange, les nuits sont devenues plus longues, et la pluie s’invite désormais à chaque séance d’entraînement. Pourtant, sur le terrain, tout roule.
Quatre mois se sont déroulés : septembre, octobre, novembre, décembre et un bilan presque irréel : 8 victoires, 7 nuls, aucune défaite.
On est solides. Parfois brouillons, souvent courageux, mais toujours debout.
Górnik Polkowice est désormais plus qu’un “outsider”. On parle de nous dans la presse locale, les journaux régionaux évoquent “le miracle français”. Lukasz, lui, ne parle plus de maintien. Il parle de montée. Et moi, au fond, je commence à y croire.
Mais derrière les sourires et les chants, il y a quelque chose de plus froid.
Quelque chose qui ne s’écrit pas dans les classements.
Tout a vraiment commencé un mardi matin, après l’entraînement. Le ciel était bas, les joueurs rangeaient le matériel quand un petit groupe d’hommes est apparu derrière la main courante. Des visages durs, capuches relevées, écharpes vertes et noires autour du cou.
Le capo, un certain Bartek, s’est avancé. Un grand type tatoué jusqu’au cou, la trentaine, regard fixe.
Il s’est approché sans un mot, puis m’a attrapé doucement par le bras.
“Coach,” m’a-t-il dit en polonais,
Tu te débrouilles bien. Mais tu n’es pas des nôtres.
Je suis resté figé. Il a poursuivi :
« Ce club… il est polonais. On se bat pour lui. Toi… tu n’es pas d’ici. Les gens parlent. Certains n’aiment pas ça. »
J’ai voulu répondre parler de football, de résultats, d’efforts. Mais il a levé la main.
« Ne fais pas d’histoires, Français. Souviens-toi juste… à qui appartient ce club. »
Puis il est reparti, comme il était venu, laissant derrière lui un silence lourd et les regards gênés de mes joueurs.
Depuis ce jour-lĂ , je doute.
Pas de mon travail, pas de mes gars mais de ma place ici. J’ai beau être premier, avoir redonné de la vie à ce club, je sens que quelque chose m’échappe.
Chaque victoire est suivie de chants dans le stade, mais parfois, au milieu des cris, j’entends des murmures. Des mots que je ne comprends pas toujours, mais dont je saisis le ton : méfiance.
Je tente de garder la tĂŞte froide. Le football, je le connais. Je sais que tout peut basculer vite.
Mais quand je rentre le soir dans ma chambre au-dessus du bar, le bruit du vent dans les vitres me rappelle que je suis seul ici.
Seul, malgré les points, malgré la première place.
J’ai voulu venir en Pologne pour prouver qu’un inconnu sans diplôme pouvait réussir.
Aujourd’hui, je me demande si réussir suffira à être accepté.