Réponses aux lecteurs
@FC_Guimaraes alors que pensez-vous de cet arc ? Jâai chialĂ© sur cet Ă©pisode
Tbilissi, Géorgie. Neige fine, douleur épaisse.
Lâavion privĂ© atterrit en douceur sur le tarmac dĂ©trempĂ© de lâaĂ©roport international de Tbilissi. Ă bord, aucun mot nâavait Ă©tĂ© prononcĂ© depuis plus dâune heure. Seuls les moteurs, les souffles longs et quelques regards volĂ©s vers le hublot.
AnĂbal GuimarĂŁes, RĂșben Amorim, Hugo Viana⊠et Victor Khutsishvili, le gamin de 14 ans qui, quelques jours plus tĂŽt, rĂȘvait encore de toucher les Ă©toiles.
Il ne pleurait pas. Il ne parlait pas. Mais tout dans sa posture â la nuque basse, les poings serrĂ©s, les yeux rougis â criait une dĂ©tresse plus profonde que tout ce que ces hommes de football avaient connu.
Sa mĂšre venait de mourir. Et avec elle, peut-ĂȘtre, son avenir.
Ă la sortie de lâaĂ©roport, une vieille femme lâattendait. Sa grand-mĂšre maternelle. Robe noire, Ă©charpe beige, des mains usĂ©es, un regard franc. Elle le prit dans ses bras sans un mot, simplement, comme si elle voulait absorber toute sa peine dans sa peau. Puis elle releva la tĂȘte vers les trois hommes, lĂ©gĂšrement sur la dĂ©fensive.
Mais lorsquâAnĂbal sâavança pour se prĂ©senter, quelque chose changea.
Elle le fixa. Longtemps. Les yeux plissĂ©s. Comme si un puzzle vieux de quinze ans venait soudain de sâemboĂźter.
« Vous ĂȘtes⊠AnĂbal GuimarĂŁes ? »
Il acquiesça, surpris.
Elle hĂ©sita, se tourna discrĂštement vers lâune de ses filles, puis revint Ă lui dans lâintimitĂ© du salon familiale, bouleversĂ©e.
« Elle a laissĂ© une lettre pour vous. Avant de⊠partir. Elle a demandĂ© quâon vous la remette si vous veniez. »
Il ne comprit pas. Ou plutĂŽt : il ne voulut pas comprendre. Pas tout de suite.
Ce nâest quâaprĂšs la cĂ©rĂ©monie, dans la chambre austĂšre dâun hĂŽtel sur les hauteurs de Tbilissi, quâAnĂbal ouvrit lâenveloppe.
LâĂ©criture, fine et inclinĂ©e, Ă©tait la sienne. Cette lettre Ă©tait Ă©crite de la main dâAnna.
Ani,
Si tu lis cette lettre, câest que le temps mâa filĂ© entre les doigts plus vite que prĂ©vu. Je pensais avoir encore quelques mois. Juste assez pour parler Ă Victor. Pour lui dire la vĂ©ritĂ©. Pour te lâannoncer autrement, jâai essayĂ© avant NoĂ«l mais je nâai pas eu la force.
La maladie a Ă©tĂ© plus forte. Comme souvent dans ma vie, jâai perdu Ă la derniĂšre minute.
Je ne tâai jamais parlĂ© de lui. Parce que, quand je suis tombĂ©e enceinte, tu Ă©tais ailleurs. Tu Ă©tais dans ton rĂȘve, dans ton monde. Le football, les voyages, la fuite en avant. Moi, je voulais de la stabilitĂ©. Et je savais que tu ne pouvais pas encore la donner. Alors je suis partie. Jâai gardĂ© ça pour moi. Jâai fait au mieux. Peut-ĂȘtre mal, peut-ĂȘtre bien, je ne sais pas.
Victor est nĂ© Ă Valladolid, en Juillet 2027. Tu Ă©tais encore lĂ , quelque part, sur un banc de touche ou sur une route vers un nouveau contrat. Je tâavais suivi aprĂšs ton dĂ©part de Vianense dans lâespoir de⊠Jâai finalement accouchĂ© seule. Mais je ne tâen ai jamais voulu.
Victor a commencĂ© Ă sâintĂ©resser au football Ă mon grand dĂ©sarroi. Les chiens ne font pas des chats comme on dit. Je lâai alors inscrit Ă lâĂ©cole de football de Viana, sans savoir que tu y reviendrais un jour. Victor ne sait rien. Je comptais lui parler. Mais pas encore. Pas alors que je nâĂ©tais pas sĂ»re de ce que tu aurais fait. Mais aujourdâhui⊠aujourdâhui, je veux te demander une seule chose :
Ne le laisse pas tomber.
Aime-le comme tu aurais aimé le connaßtre.
ProtĂšge-le, mĂȘme sâil ne sait pas encore qui tu es. Attends le bon moment pour lui raconter son histoire.
Tu nâas jamais Ă©tĂ© parfait, Ani. Mais tu as toujours Ă©tĂ© loyal Ă ce en quoi tu croyais.
Et lui, câest toi. Il le porte dans ses yeux. Dans sa façon de courir. vous aurez beaucoup Ă apprendre lâun de lautre.
Tu verras.
Anna.
AnĂbal resta longtemps assis, la lettre dans les mains.
Pas dâexplosion. Pas de larmes. Juste un vertige.
Puis il se leva, descendit dans le salon de lâhĂŽtel oĂč Hugo et RĂșben lâattendaient.
Il parla dâune voix calme. BrisĂ©e, mais droite.
Victor⊠est mon fils. Depuis tout ce temps. Et je nâen savais rien.
Personne ne rĂ©pondit. MĂȘme RĂșben, pourtant rarement Ă court de mots, garda le silence.
AprĂšs un long moment, Hugo prit la parole.
Alors il va avoir besoin de toi. Encore plus quâavant.
Le lendemain, une réunion fut organisée avec la famille. La grand-mÚre, digne, écouta en silence. Les tantes opinÚrent. Une larme coula sans bruit.
AnĂbal sâengagea. Solennellement. Ă prendre sa place. Ă ne rien brusquer, mais Ă ĂȘtre lĂ .
Toujours.
Ils se mirent dâaccord.
Victor ne saurait rien pour lâinstant. Il fallait du temps. Du calme. Du deuil.
Ils lui diraient tout Ă la fin de la saison, lorsquâil serait prĂȘt. Lorsquâil pourrait accueillir cette vĂ©ritĂ© comme une promesse, et non comme une tempĂȘte.
Et dans lâavion du retour, Victor sâendormit pour la premiĂšre fois depuis trois jours. La tĂȘte posĂ©e contre le bras dâAnĂbal. Sans savoir. Mais sans crainte.
Et AnĂbal, les yeux fixĂ©s sur les nuages, comprit une chose :
Parfois, les rĂȘves que lâon pensait perdus⊠reviennent sous une autre forme.