« Monsieur Beaubien, il y a un homme qui voudrait vous voir. »
Je me retourne vers la préposée, l’air surpris. Je me demande bien qui a l’audace, que dis-je l’outrecuidance, de venir me déranger alors que je suis en pleine partie de Poker à la table de Patrick Bruel. Enfin, la jeune femme est belle et avenante, et il ne faut jamais tirer sur le messager, ou la messagère.
« Quelqu’un veut me voir ? Qui donc ?
– Je ne sais pas Monsieur. Il m’a juste demandé de vous dire qu’il vous attendait au bar. Il m’a laissé un somptueux pourboire pour que j’ose venir vous déranger, ce doit être quelqu’un d’important. »
J’étire le cou, me contorsionne, rien à faire, je n’ai pas d’accès visuel à cette section, bien entendu cachée des regards indiscrets. La curiosité me gagne.
« Dites-lui que j’arrive. »
Une petite pause ne me fera pas de mal, d’autant que Patrick aussi se lève de la table pour rejoindre le spa de l’hôtel où quelque masseuse en quête d’un gros pourboire (à défaut d’autre chose de gros) l’attend probablement.
Arrivé dans le bar, un homme me fait signe de la main. Il a plus ou moins mon âge, paraît bel homme, d’allure sûr de lui, portant un jeans et une chemise, sans cravate ni veston.
Je me rappelle de l’avoir vu jouer à une table un peu plus tôt, du côté où je n’ose même pas m’aventurer, là où les blinds dépassent quasi mon meilleur pot remporté.
« Mon cher Monsieur Bossemans, c’est le ciel qui vous envoie ! »
– Beaubien, je m’appelle Beaubien. Bossemans, c’est le nom de jeune fille de ma maman.
L’homme parle anglais, avec un accent typique du Royaume-Uni.
« Je m’appelle Tony Bloom »
Tony Bloom est un magnat des jeux en ligne britannique. Il a fait fortune dans ce secteur, à moins que ce ne soit autour des tables de Poker… L’homme est en tout cas puissant, y compris dans le monde du ballon rond puisqu’il est le président du club de Brighton. Mais il a d’autres desseins me concernant…
« J’ai un peu suivi votre carrière, que ce soit en MLS ou en Russie. Impressionnant ! Et que faites-vous pour le moment ? Vous êtes en sabbatique ? Aaahhh les vacances durement acquises… Ça n’a pas dû être de la tarte de se coltiner le Poutine tous les jours… Dites, vous n’allez pas rester sans occupation, l’oisiveté est la mère de tous les vices… Il n’y a pas meilleur moyen de tuer un homme que de le payer à ne rien faire… Vous allez dépérir si vous resté inactif… L’alcool fait des ravages auprès de l’homme errant sans but, mais vous avez vécu en Russie, vous savez tout ça… En parlant vice, c’est vrai ces racontars, comme quoi vous fréquenteriez le monde interlope du sexe… »
Je n’en ai pas placé beaucoup, l’homme est prolixe…
« Mais venons-en au fait : j’ai racheté l’an passé un petit club belge, petit club au passé glorieux. Je cherche un coach pour remplacer celui en poste qui ne parviendra jamais – selon moi – à ramener le club parmi l’élite… Retourner à Bruxelles, qu’en dites-vous ? Je vous propose de prendre les rênes de l’Union Saint-Gilloise, rien de moins ! Qu’en pensez-vous ? Évidemment, je compte bien vous aider financièrement, j’ai les reins solides. Pour preuve, je viens encore de rafler plus d’un million de livres Sterling à un sheik saoudien. Tenez, je vous les donne en surplus salarial si vous acceptez, qu’en dites-vous ? »
Le coup de Poker est intéressant…
« Écoutez, je vous ai réservé une Suite dans l’hôtel, prenez la nuit pour y penser et nous en reparlerons demain matin au déjeuner. Un conseil cependant: ne suivez pas le chanteur français qui était à votre table de Poker, il ne vous attirera que des ennuis avec ses mains baladeuses et son verbe grivois…
Ce Monsieur Bloom semble être le genre de personne que j’apprécie : franc, direct et joueur !
L’Union Saint-Gilloise, l’Union 60 comme les anciens du temps où mes parents étaient jeunes l’appelaient depuis leur incroyable série de 60 rencontres de championnat sans défaite entre 1933 et 1935, record toujours inégalé aujourd’hui. L’Union, le troisième club le plus titré du pays derrière Anderlecht et Bruges avec 11 titres entre 1904 et 1935. L’Union, le matricule 10 !
L’Union, voilà le genre de défi que j’aime relever ! Avec un joueur de Poker aux commandes en plus, que demander de plus ?
La Suite qu’il m’a réservée en tout cas est plutôt confortable… Le bougre voudrait-il m’acheter ?