TOSNO : INTRODUCTION
« Monsieur Beaubien ! Comment allez-vous ? »
Le président, déjà ? Cela ne fait que deux semaines que je suis à Québec à profiter des premiers beaux jours de printemps sur ma terrasse de ma villa au Mesnil et déjà mon téléphone privé a été retracé.
« Monsieur le président, je vais très bien et vous ?
— À merveille maintenant que je vous ai retrouvé. C’est quoi cette manie que vous avez de toujours changer de numéro ? Je vais finir par croire que vous me fuyez.
— Vous fuir, voyons donc ! répondis-je, tout en sachant qu’il a pourtant une fois de plus visé juste.
— Heureusement que mon dévoué Alexey Mikheev avait encore le numéro de téléphone de Susan qui possédait le numéro de Bella qui possédait votre nouveau numéro. Les fredaines, ça laisse toujours des traces, mon cher ami. »
Il s’est bien donné du mal pour me retrouver. Il a quelque chose de sérieux sur le feu, c’est certain. Devant mon silence, il renchérit :
« Je n’irai pas par quatre chemins : j’ai besoin de vous.
— Je ne sais pas pourquoi, mais je m’en doutais.
— Des émissaires de mon gouvernement sont justement dans votre ville, pour vérifier si un sommet du G8 pourrait se tenir dans votre belle province de Québec l’an prochain. Vous pourriez peut-être embarquer avec eux pour venir me voir, au Palais Constantin de Saint-Pétersbourg. J’ai quelque chose à vous proposer qui devrait vous plaire… Sans obligation aucune évidemment. Dans le pire des cas, ce sera l’occasion de nous revoir. J’ai cru comprendre que, de toute façon, vous étiez en vacances depuis quelques semaines. »
02/06/2018 : Saint-PĂ©tersbourg
Je n’ai bien sûr pas pu résister. Après des heures de voyages à bord d’un luxueux Tupolev somme toute un peu vétuste où la vodka a coulé à flots, j’atterris à Pulkovo où nous sommes aiguillés dès l’atterrissage vers un terminal administratif gardé comme une forteresse. Les formalités douanières ne prennent que quelques minutes, et déjà nous sortons par une porte à l’écart où une Kortezh de fonction m’attend.
Les Kortezh sont, selon les dires du président, des limousines “fabriquées en Russie, avec des pièces russes et par des spécialistes russes”. On connaît l’importance que le président accorde au savoir-faire local. Ce n’est pas lui qui roulerait en Cadillac ou en Mercedes. Un peu comme Chirac qui roulait en CX quoi.
Nous prenons directement l’A-118 direction Ouest, entourés de deux SUV noirs aux vitres teintées et escortés par quatre motards de la police sirène hurlante, forçant les embouteillages avec une facilité déconcertante jusqu’aux grilles du “Palais Poutine”, comme on l’appelle aujourd’hui.
Pas de doute, je suis bel et bien de retour auprès du Tsar de toutes les Russies : le président Wladimir Poutine !
Notre hôte est venu m’accueillir en-dehors de l’édifice. Il est visiblement ravi de me revoir, même si les retrouvailles sont moins familières qu’avec Depardieu.
Nous échangeons quelques banalités avant de prendre la direction d’un des innombrables salons du palais.
Le Tsar est très décontracté, prenant comme par le passé (1) mes visites comme du bon temps. Il faut dire que sa fonction lui accapare tout son temps, ou presque, le restant l’étant pas Alina.
(1) je fais fi des anachronismes Ă©videmment
« Mon cher Beaubien, je suis ravi de vous revoir. Je savais que je pouvais compter sur vous. J’ai mes fidèles qui m’entourent, sans qui je ne serais que bien peu de choses. Vous avez deviné le défi que j’ai à vous proposer j’imagine.
— À vrai dire, j’ai quelques idées, mais je suis encore dans le flou.
— Des idées ? Vous piquez ma curiosité. À quoi vous attendez-vous ?
— J’ai réfléchi et j’ai trouvé quatre possibilités : le Zenit ou Tosno, ici à Saint-Pétersbourg, le CSKA à Moscou ou alors Krasnodar.
— Le Zenit, rien que ça ? Non, je ne peux pas vous donner ce poste. J’en suis bien triste, sachez-le, mais je ne peux pas. Un jour prochain peut-être, qui sait. Mais le défi à vous proposer est bien dans cette ville : le FK Tosno !
— Tosno, c’est donc ça… Je m’en doutais un peu. Il paraît qu’il y a des mystérieux donateurs qui ont financé un centre de formation de tout premier ordre, et des structures d’entraînement dignes de la Premier League. Je me suis dit que vous étiez peut-être là -dessous…
— Tout le monde se le dit, mais impossible de le prouver. Puis, Tosno n’attire pas les regards étrangers, j’ai les coudées assez franches. Par contre, limoger Mancini du Zenit enverrait un très mauvais signal à l’étranger alors que je montre patte blanche pour que la Russie réintègre le G8 au Québec l’an prochain. Non, je suis bien trop surveillé par la police de la pensée : l’UE et le Canada. Monsieur Trump est plus conciliant quant à lui… Bref, je n’ai même pas pu resserrer les règles du championnat cette fois-ci, alors imaginez limoger un entraîneur étranger. Ce n’est pourtant pas l’envie qui m’en manque. »
Après un moment de silence, le temps de tremper ses lèvres dans sa tasse de thé, il reprend :
« Tosno mon cher ami ! Des amis à moi ont injecté $20M dans les coffres, vous rivalisez avec les grosses cylindrées en matière de formation, vous avez un beau stade (l’ancien du Zenit)… Bref, il y a de quoi faire. Le but : dépasser le Zenit, ridiculer Mancini, et – pourquoi pas – prendre sa place dans le cœur des Pétersbourgeois, et sa place sur le banc du Zenit à moyen terme.
— En effet, le défi est sympathique, Monsieur le président.
— Pensez-y, mon cher ami. En attendant, je vous ai réservé une suite royale au Lions Palace. Je vous ai aussi trouvé une guide russe qui a grandi ici, pour vous faire visiter la ville. Elle vous attend à l’hôtel, elle devrait vous plaire… »
Selon les dires du président, une certaine Katerina m’attend dans ma suite, à l’hôtel. Nous avons cette fois troqué la Kortezh pour un SUV noir de marque allemande, blindé, conduite par mon chauffeur et garde du corps, un certain Walter.
Arrivé dans ma chambre, une jeune femme m’attend, en effet… Monsieur Poutine connaît décidément mes goûts, cette Katerina semble être charmante…