Victoire, 11h26.
Je monte dans le bus, direction l’Aéroport. Mais, tout d’abord, laissez moi me présenter le temps du trajet.
J’ai grandi avec mon frère non loin de Bordeaux, dans les Landes. Mes week-ends étaient rythmés par le foot : notre père nous avait, dès l’âge de 6 ans chacun, inscrit dans notre petit club de Saint-Paul-Lès-Dax. J’y ai joué tous les postes, mais je n’ai jamais excellé dans aucun, contrairement à Florian qui, lui, était le plus prolifique des attaquants. Il était la star de l’équipe, repéré par les Girondins même en 98, où il intègrera la réserve. J’ai donc grandi en voyant mon grand frère jouer parfois avec les pros, écoutant les histoires des autres sur ses succès passés dans notre club.
Passé l’adolescence j’en ai eu marre du foot… Tout ce qui m’intéressait c’était l’alcool et les jolies filles. Pas fameux me direz-vous. Pendant ce temps j’avais un frère footballeur, qui, faute de talent suffisant, entamait sa reconversion professionnelle en tant qu’entraîneur.
Une fois mon bac ES en poche (miraculeusement), je me suis lancé dans un BTS dans le commerce : un choix par défaut, je suis allé là où on me voulait sans grande conviction. Bruno, mon patron, m’avait embauché à ma sortie de l’école il n’y a que 7 mois. Voyez donc mon pari fou : 22 printemps, tout juste sorti de l’école et je plaque déjà tout pour vivre mon rêve oublié. Certains appeleraient ça de la folie, d’autres du courage. Je sais juste que je n’ai plus rien à perdre.
Le bus s’arrête, nous sommes déjà à l’Aéroport. Ma montre indique 12:14. Je suis à l’heure, c’est parfait. J’entre au Hall A, monte les escalators et me rend dans l’un des restaurants, dont les fenêtres offrent une vue plongeante sur le tarmac. Au loin de la pièce j’aperçois un homme qui me fait signe de le rejoindre : c’est sans doute Jean-Jacques.
Nous échangeons une forte poignée de main, alors qu’il entame la conversation :
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Bonjour Nathan. Ravi de faire votre connaissance. Asseyez-vous.
Ecoutez, je suis désolé pour la perte que vous venez de subir, je suis de tout coeur avec vous, ainsi que le club. Votre frère faisait un travail incroyable chez nous, nous avons du mal à y croire encore…
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Merci Monsieur, je sais qu’il aimait son travail aussi….
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Il était très impliqué oui… Vous savez pourquoi je vous ai proposé cet endroit ?
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Pas la moindre idée, non.
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Votre frère venait souvent ici pour manger, pour les réunions. Il regardait les avions décoller, ses yeux s’émerveillaient à chaque fois. A cette même table il m’a avoué qu’il s’imaginait dans un avion, partant pour un match européen, mondial, lui à la tête de toute une équipe reconnue. Il rêvait.
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Mais il aurait pu le faire, j’en suis sur.
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Ce n’était pas impossible, il avait des contacts déjà dans un club professionnel vous savez… Mais, en tout cas, je suis curieux mon petit, pourquoi avez-vous souhaité me rencontrer ?
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C’est une très bonne question. Vous avez un poste d’entraîneur qui vient de se libérer, et ce poste je le veux.
Il eut manqué de s’étouffer avec son verre de vin. Après quelques secondes où il put se ressaisir, Jean-Jacques me regarda d’un air bienveillant, compatissant, avant d’enfin me répondre, un sourire au coin des lèvres :
- Commandons d’abord si vous le souhaitez.»