18 mars 2016
We’re Molotov Girls and we alright.
Spark it up ‘til the streets burn all night.
So tired of being told to keep polite.
This is called being alive.
Yeah!
J’ouvris les yeux. Autour de moi, l’heure était aux derniers encouragements, aux dernières petites choses qu’on fait pour se mettre en confiance. On a tous notre rituel d’avant-match. Certains écoutent la même chanson en boucle. D’autres lacent deux fois leurs chaussures. D’autres encore échangent leur poignée de main spéciale d’avant-match. Tout est bon pour se porter chance; quand on est joueur, on est toujours un peu superstitieux.
Le vestiaire est un peu plus calme que d’habitude. On sent l’équipe concentrée, un peu tendue, peut-être. Ce n’est pas tous les jours qu’on dispute une finale, surtout dans un petit cégep. C’est toujours difficile de ne pas se laisser submerger par les émotions. Et en même temps, comment ne pas être déjà un peu fier de ce qu’on a réalisé? On déjoue les pronostics depuis le début de l’hiver. Certains ne nous voyaient même pas nous qualifier en séries éliminatoires, et pourtant, nous y voilà, en finale du championnat de futsal collégial de l’est du Québec.
Je savourais pleinement notre parcours. Je suis arrivé dans l’équipe sur la pointe des pieds il y a bientôt quatre ans. Pendant ma première année, j’étais le gardien remplaçant de l’équipe qui a remporté la première bannière de l’histoire du Cégep de Matane, tous sports confondus.
J’ai eu la chance de participer à cette épopée qui nous a vu devenir champions du Québec de soccer extérieur mixte. À l’époque, je n’ai que très peu contribué, j’ai même pris un bête carton rouge lors d’un des rares matchs que j’ai joué. Les temps ont bien changé.
Je jetais un œil au brassard de capitaine solidement fixé à mon biceps droit. Quelle fierté, que de chemin parcouru à titre personnel. J’ai fière allure dans mon chandail jaune floqué du 54; ça fait quatre ans que j’habite au Québec, mais je n’oublie pas mes origines, ma Meurthe-et-Moselle natale. Aujourd’hui, en tant que vétéran de l’équipe, je donne l’exemple. Sans vouloir me vanter, j’y suis pour beaucoup si on en est là; je suis dans la forme de ma vie, j’enchaîne les performances d’anthologie, et grâce à mes arrêts par dizaines, j’ai grandement contribué au parcours de l’équipe. Cette deuxième bannière, ça viendrait couronner tous nos efforts et nos progrès depuis deux ans. Surtout, ce serait la plus belle façon de finir mon cégep, à quelques semaines d’obtenir mon diplôme d’études collégiales.
Le coach ouvrit discrètement la porte et me fit un signe de la tête. J’enlevais mon casque audio et tapais dans mes mains pour motiver mes coéquipiers.
— C’est l’heure, les boys!
Aussitôt, le groupe se mit en branle. Les encouragements fusèrent aux quatre coins de la pièce. Derniers moments de fraternité dans l’intimité du vestiaire. On est sortis. La clameur du public nous parvient dans le couloir menant au gymnase. Les spectateurs nous encouragent déjà :
« Matane! Matane! »
Pour cette finale, le cégep a mis les petits plats dans les grands. Tel un avant-match de NBA, on rentrait à tour de rôle sur Sirius, de The Alan Parsons Project. La foule nous acclamait chacun notre tour. Est arrivé mon tour, annoncé par l’énergie débordante du speaker:
— … le capitaine de vos Capitaines, le numéro 54 et gardien: Quentin… KLEIN !!
Les vivats de la foule m’ont accueillis un peu plus forts. Je suis entré sur le parquet en saluant les gradins pleins à craquer, peinant à dissimuler le sourire sur mon visage. Ça donne la pêche, une entrée pareille, et c’est d’autant plus fort que ce sera quoi qu’il arrive mon dernier match avec l’équipe. Ne pas se laisser déconcentrer par l’atmosphère. Je fis signe à mes coéquipiers de se rapprocher pour former un cercle.
— Les gars, on y est. C’est la finale, c’est le moment qu’on a attendu toute la saison. C’est pour ça qu’on s’est battus.
Je pointais du doigt la bannière solitaire accrochée sur un mur au-dessus des bancs de touche, celle qu’on a gagné il y a deux ans.
— Vous la voyez? Ce soir, on va chercher la deuxième! À trois! 1, 2, 3…
— MATANE!
Sans un mot de plus, chacun est parti se placer à son poste. J’ai rejoint ma cage avec confiance. Gardien depuis mon plus jeune âge, je suis toujours passé sous le radar des recruteurs en raison de ma petite taille. 1m72, c’est terriblement petit quand on joue dans les buts. Pourtant, j’ai toujours l’impression de devenir quelqu’un d’autre quand j’enfile mes gants, je me sens toujours plus grand de quelques centimètres. Je me sens capable de réaliser de grandes choses. Je me sens une autre personne.
Dans l’autre moitié du terrain, les joueurs de l’Université du Québec à Rimouski nous font face dans leurs chandails blancs. Ils sont peut-être plus forts, mais on sait qu’on va les battre. Ça va être un gros match.