Sheffield Wednesday, inoxydable ?
Sheffield, berceau du football au dix-neuviĂšme siĂšcle et de la derniĂšre rĂ©volution en date de ce sport, en rĂ©action Ă la tragĂ©die de Hillsborough en 1989. Le populaire club de Sheffield Wednesday Ă©pouse lâĂ©tat de santĂ© de la ville, jadis florissante citĂ© miniĂšre, gravement touchĂ©e par la crise au siĂšcle dernier et qui essaie aujourdâhui de continuer Ă exister.
En pleine rĂ©volution industrielle, Sheffield est la capitale mondiale de lâacier Ă la mi-temps de ce dix-neuviĂšme siĂšcle. Ă lâĂ©poque, la ville est en pleine bourre, les machines turbinent, les grosses cheminĂ©es crachent et les ouvriers dĂ©barquent chaque annĂ©e par dizaines de milliers pour se faire employer dans des usines mondialement cĂ©lĂšbres comme Forgemasters. Et pour occuper leur seul jour de repos de la semaine, ces ouvriers tapent dans un ballon. Dâinformelle, la pratique du football sâinstitutionnalise avec la crĂ©ation du premier club au monde, le Sheffield FC, en 1857. Dix ans plus tard, un second club voit le jour, ou plutĂŽt une section football dâun club de cricket qui avait lâhabitude de disputer ses matchs chaque mercredi. DâoĂč cet Ă©tonnant patronyme : Sheffield Wednesday. Surnom : The Owls, les chouettes, lâanimal figurant sur le blason dĂšs les premiĂšres annĂ©es. La grande Ă©poque du plein emploi et des avancĂ©es technologiques majeures dans le domaine industriel (lâacier inoxydable, câest Ă Sheffield quâon lâa crĂ©Ă©) correspond Ă lâĂąge dâor du club, qui conquiert sept trophĂ©es en lâespace de quatre dĂ©cennies : quatre championnats (1903, 1904, 1929, 1930) et trois FA Cup (1896, 1907, 1935). Ce sont les annĂ©es folles, les annĂ©es de gloire et de prospĂ©ritĂ©, suivies dâune premiĂšre pĂ©riode de grande dĂ©pression Ă lâorĂ©e des annĂ©es 30, en soubresaut de la crise de 29. DĂ©jĂ , Ă cette Ă©poque dâavant-Guerre, Sheffield ne fait plus tellement rĂȘver. La surpopulation oblige les derniers arrivants Ă sâentasser dans des bidonvilles insalubres Ă la pĂ©riphĂ©rie dâune ville que George Orwell dĂ©crit dans un ouvrage paru en 1937 comme « la plus moche du continent » .
En 1935, Sheffield Wednesday est au sommet de sa gloire et de sa popularitĂ©. LâĂ©quipe sâimpose en finale de FA Cup Ă Wembley devant prĂšs de 100 000 spectateurs face Ă West Bromwich Albion, grĂące au doublĂ© dâEllis Rimmer (4-2). Mais cinq ans plus tard, il nâest plus question de football. Sheffield subit alors un blitz meurtrier, les Allemands sâacharnant sur cette ville stratĂ©gique qui produit une grande partie de lâacier du pays, si prĂ©cieux en temps de guerre. Les annĂ©es de conflit face aux Nazis sont Ă la fois une tragĂ©die et une aubaine pour Sheffield. TragĂ©die du fait des bombardements, aubaine car les carnets de commande des usines se remplissent Ă nouveau. Une fois lâarmistice signĂ©, le football reprend ses droits et la glorieuse formation de Sheffield Wednesday reprend la compĂ©tition. Dâabord en D2, puis en D1, D2 de nouveau, D1 encore. Un yo-yo qui prend fin dans les annĂ©es 60 avec une brĂšve pĂ©riode Ă flirter de nouveau avec les sommets (vice-champion en 1961 derriĂšre Tottenham). LâĂ©lite du football anglais compte Ă lâĂ©poque deux clubs de Sheffield : Wednesday et le rival United, les deux sâaffrontant deux fois lâan lors du fameux « Steel City Derby » .
Câest beau mais ça ne dure pas. Les dĂ©cennies suivantes sont terribles pour Sheffield : crise Ă©conomique et concurrence Ă©trangĂšre de plus en plus fĂ©roce dans les annĂ©es 70, thatchĂ©risme dans les annĂ©es 80, fermetures dâusines et chĂŽmage de masse â jusquâĂ dĂ©passer les 15 % - dans les annĂ©es 90. Dans ce contexte pas folichon, Wednesday tente de sâen tirer et rĂ©ussit mĂȘme briĂšvement un retour Ă la lumiĂšre en remportant un ultime trophĂ©e en 1991 : la League Cup. Chris Waddle arrive lâannĂ©e suivante, Trevor Francis devient un brillant entraĂźneur-joueur et pendant les premiĂšres annĂ©es de la Premier League, on croit Sheffield Wednesday en mesure de jouer les premiers rĂŽles. Le club essaie de sâadapter aux profonds bouleversements du foot pro de lâĂ©poque, sâaccroche mais finit par cĂ©der, chutant une derniĂšre fois de lâĂ©lite en 2000 pour ne plus jamais y remonter Ă ce jour. Il faut dire quâĂ lâĂ©poque dĂ©jĂ , les « Owls » doivent Ă©voluer Ă domicile dans un cimetiĂšre Ă ciel ouvert : Hillsborough, le stade de la honte depuis le 15 avril 1989. Ce jour-lĂ devait avoir lieu un match qui nâavait rien Ă voir avec Wednesday : une demi-finale de Cup entre Liverpool et Forest qui a dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en un abominable mouvement de foule faisant 96 morts et prĂšs de 800 blessĂ©s. Câest Ă lâissue de cette tragĂ©die que les instances du football anglais ont dĂ©cidĂ© une modernisation en profondeur, avec notamment de nouvelles normes dans les stades (dont lâinterdiction des tribunes « debout » ). Câest donc Ă Sheffield quâest nĂ© le foot anglais 2.0 tel quâon le connaĂźt aujourdâhui, cette Premier League richissime et rutilante, loin de ses origines prolo et borderline. Et paradoxalement, câest le club le plus populaire de la ville, Sheffield Wednesday, qui a Ă©tĂ© lâune des principales victimes de cette spectaculaire mue en ne rĂ©ussissant jamais Ă prendre le virage du nouveau millĂ©naire.
Sheffield Wednesday fait aujourdâhui figure de belle endormie du football anglais. Rappelons quand mĂȘme une anecdote qui a de quoi rendre fous les supporters locaux. Ă la trĂȘve hivernale de la saison 91-92, Ăric Cantona cherche Ă se relancer outre-Manche et dĂ©barque Ă Sheffield pour un essai dâune semaine avec Wednesday. ProblĂšme : il neige toute la semaine et le match amical qui doit servir de test grandeur nature doit avoir lieu en indoor. Cantona brille mais lâentraĂźneur Trevor Francis demande au Français de rester une semaine de plus, le temps de le voir sur une vraie pelouse. Il refuse et part sâengager avec Leeds, qui le signe sans essai. AprĂšs avoir pris part aux huit premiĂšres saisons de la Premier League, sans jamais faire mieux quâune septiĂšme place), les « Owls » sont relĂ©guĂ©s au printemps 2000 et nâont jamais pu espĂ©rer remonter depuis, faisant plutĂŽt lâascenseur avec la D3. Au terme de la saison derniĂšre, câest sur une nouvelle relĂ©gation au troisiĂšme Ă©chellon du football anglais que sâest conclue la saison du club.