ST. LOUIS CITY SC
Lundi 5 septembre 2022, Citybank Stadium, St. Louis, Missouri
Les bureaux sont vides en ce jour férié. Le premier lundi de septembre coïncide, en Amérique du Nord, avec la Fête du Travail. Dans la tourmente depuis la démission subite du Sud-Africain Bradley Carnell à quelques mois du début de la l’aventure MLS, je devine que la direction du club a voulu prendre le pouls avec moi loin des regards indiscrets et du battage médiatique.
J’ai rendez-vous avec Mrs. Carolyn Kindle-Betz, la propriétaire majoritaire (ils sont trois au total) de la future franchise de la MLS qui s’établira dans la ville. Elle est la Chief Executive Officer du club, c’est donc elle la big big boss.
Carolyn, qui était encore une inconnue pour beaucoup il y a peu, est devenu la figure emblématique du Soccer au Missouri, et même aux États-Unis. C’est en effet la première femme propriétaire d’une franchise de MLS. On dit que c’est une femme d’affaires avisée et coriace, très investie, dotée d’un charme envoûtant typiquement américain.
Les civilités terminées, nous entamons le vif du sujet.
« Mr. Beaubien, vous savez pourquoi je vous ai demandé de venir me rencontrer : je veux vous confier les rênes de mon équipe. Je vous donnerais carte blanche, et de gros moyens, pour faire briller mon bébé au firmament du sport en Amérique. Et je devine que, si vous n’étiez pas intéressé, vous ne seriez pas venu. Est-ce que je me trompe ?
– Pas du tout, je suis très intéressé, mes intentions de revenir en MLS ne sont un secret pour personne. De plus, on sait à quel point j’affectionne ces processus d’expansion. »
Après un moment d’hésitation, je continue :
« Il y a cependant un irritant.
– Lequel ? Dites-moi.
– On ne sait pas encore à l’heure actuelle si St. Louis jouera à l’Est ou à l’Ouest.
– Nous le saurons bientôt, en janvier probablement.
– Il se dit que l’Est tient la corde. Disons que, dans mon plan de carrière, je me voyais officier à l’Ouest. Dallas, Minnesota, Nashville. Ou L.A., soyons fous ! Je veux jouer à l’Ouest à vrai dire. »
S’ensuit un long silence. Les secondes s’égrènent. Elle me fixe, la bouche mi-ouverte. Elle finit par rompre le silence.
« C’était donc vrai, murmure-t-elle.
– Plaît… Plaît-il ?
– C’était donc vrai ces rumeurs, comme quoi vous vouliez passer à l’Ouest. Vos accointances douteuses avec des dictateurs brutaux. Vos fredaines avec des espionnes de haut vol. Vos beuveries avec l’acteur russe Girâr Depardiou.
– Je… Enfin…
– Je vous taquine Mr. Beaubien ! Je ne prête pas foi à ces vils racontars, rassurez-vous ! Sauf peut-être les beuveries avec Depardiou.
– Ah là vous m’avez eu ! dis-je en riant de bon cœur. J’apprécie votre humour.
– Je suis une Républicaine, j’ai personnellement financé la campagne de Donald Trump, je serais bien mal placée pour vous faire des remontrances sur vos relations politiques, ou plus précisément sur vos relations d’affaires intéressées.
Mon interlocutrice reprend, avec un sérieux retrouvé :
« Je comptais vous proposer un contrat d’un an de toute façon. Dans douze mois, on se rassoit ici même et on avise. Je ne vous demande qu’une année, je ne vous demande que de mettre à profit votre expertise en construction d’équipe, ensuite libre à vous de partir entraîner les Mormons en Utah, ou à Vladivostok ou au Tibet si cela vous chante ! Mais si vous faites une bonne expansion, sachez que je ferai tout pour vous retenir aussi.
– C’est de bonne guerre.
– Alors, on le signe ce contrat ?
– On le signe, cela va de soi. Vous saviez que je dirais oui avant même de me contacter. Les expansions, c’est mon dada, j’aime ça. Mais avant tout, vous savez que je suis le coach fédéral et que je m’envolerai bien vite pour le Qatar.
– Vous êtes le coach fédéral ? Je ne savais pas, fallait me le dire enfin ! Allez, cessez de me prendre pour une péronnelle ! Ce n’est pas parce que je suis une femme que je suis idiote. Comme si je ne le savais pas. »
Ainsi se dessina mon nouveau défi back home, alors que je venais tout juste de revenir aux États-Unis fraîchement nommé à la tête de l’équipe nationale américaine, the USMNT, à quelques semaines de la Coupe du Monde qatarie.
« J’ai deux mois avant la Coupe du Monde, c’est plus qu’il n’en faut pour mettre en place mon staff, surtout un bon adjoint et une équipe de recrutement aguerrie.
– J’ai encore une faveur à vous demander, Mr. Beaubien.
– Dites toujours.
– Au Qatar, ne dépassez pas les quarts de finale, j’ai besoin de vous ici le 12 décembre. Si vous allez en demi, vous serez en retard pour les Drafts.
– Ah là, je ne peux rien vous promettre, Carolyn ! »
Avant de prendre congé, j’eus une dernière question au sujet de mon prédécesseur, Bradley Cornell.
"Quelle histoire Mr. Beaubien. Figurez-vous que nous avons reçu des documents démontrant qu’il était membre influent du Front Nasionaal (1), parti afrikaner qui prône un retour à l’apartheid. Il en était même un des fondateurs et le trésorier, le grand architecte quoi. Il a nié, hurlant à la conspiration, mais le mal était fait. En 2023, une simple rumeur et vous êtes cloué au pilori. Bref, nous ne pouvions le garder. Contre promesse d’étouffer l’affaire, il a accepté de démissionner pour « raisons familiales. »
Et moi de penser : « Si mes relations se sont ternies avec le Kremlin, elles sont devenues bonnes avec Pékin. »
(1) parti existant ou en tout cas ayant existé, fondé il y a une quinzaine d’années par des Afrikaners. Si le parti se basait sur le modèle français, il ne prônait absolument pas un retour en arrière mais plutôt la défense de la Culture et de la Langue afrikaners.
L’annonce de ma nomination ne traîna guère : quelques jours plus tard, une fois tous les détails réglés, Carolyn apparut sur la chaîne Fox Sports pour officialiser la nomination de Mark Beaubien, entraîneur belgo-américain ayant officié par le passé en MLS, en Russie et en Chine. Nomination saluée par Donald Trump en personne, sur les ondes de Fox News cette fois.