:STORYred: :intro: Les trois "F" et les oeillets.


La brume épaisse en ce matin de septembre 1969, plonge le port de Lisbonne dans une opacité qui en devient presque inquiétante. Le brouhaha de la foule, les pleurs des personnes se mélangent mélancoliquement aux remous de l’ océan et aux sons graves de la sirène du paquebot. Ils font peser une atmosphère nostalgique sur les bords de l’océan de la capitale Portugaise. Les adieux, les au revoir, les séparations ne sont jamais évidents notamment pour les personnes qui quittent leur pays, qui quittent ceux qu’ils aiment, famille, amis, proches et même leurs souvenirs d’ enfances.

La foule se densifie davantage au fil du temps qui s’écoule. Les étreintes se multiplient, les baisers sont de plus en plus long, les larmes de plus en plus nombreuses. Le quai ressemble désormais à une fourmilière géante où des milliers de personnes grouillent dans tous les sens à la résonance du dernier coup de sirène du paquebot. C’est le signe que le départ est imminent et que l’embarquement doit se faire. Les passerelles se remplissant peu à peu, libèrent doucement le quai qui été bondé. Les talons des dames et les semelles des hommes résonnent sur la structure métallique les menant au bateau donnant un rythme mélodieux à cette marche. Les yeux rougis par la tristesse, les passagers embarquent. Certains semblent encore hésiter à monter dans ce monstre d’acier… Ils finissent par franchir le pas. Les portes du bateau se referment désormais doucement. Les amarres sot largués et le navire s’ éloigne peu à peu de la terre ferme. Il est désormais trop tard. Commence alors sur le pont un ballet de mouchoirs blancs s’agitant en l’air. Chacun voulant apercevoir une dernière fois la personne aimée. Les passagers se bousculent légèrement sans même s’en excuser. Des centaines, des milliers de baisers s’échappant des mains volent entre la terre ferme et le pont du bateau, se perdant ainsi dans l’eau toujours plus remuante dû au mouvement du paquebot. Peu à peu le bateau disparaît dans le brouillard ténébreux de l’ océan Atlantique et finit par prendre le large.

Dans ce tumulte chaotique, deux personnes, un couple plus précisément, Armando Baroco Sousa de Oliveira et Maria Helena Sousa de Oliveira, dix huit ans tous les deux ne sont pas dans le même état d’ esprit. Ils ne sont pas plus heureux pour autant. Leurs adieux ,eux, les ont déjà fait à Porto leur ville natale, il y a quelques jours. La séparation familiale a été tout aussi douloureuse que les scènes auxquelles ils viennent d’assister. Leurs parents vont eux aussi migrer mais un peu plus au nord. En France exactement. Dans l’est de l’hexagone. La période des trente glorieuses bat son plein dans cette région de l’ Europe. Et c’est dans la perspective d’une vie meilleure que leurs parents ont aussi fait le choix de partir. L’après guerre, dans certains pays, est difficile. Et au Portugal particulièrement. Sous la dictature de Salazar le pays ne cesse de s’engouffrer dans une récession économique et sociale depuis une quinzaine d’années. Le pays est de plus en plus isolé du fait de sa politique concernant les colonies. Alors que dans le monde entier, nombre de pays retrouvent leur indépendance depuis quelques années, Salazar lui ne veut rien savoir. Il s’entête dans ses convictions et le reste de l’Europe est en train de lui tourner doucement le dos.

Beaucoup de Portugais ont déjà fais le choix de l’ exil et beaucoup d’autre vont suivre sans aucun doute. La quête du bonheur mais surtout d’un meilleur confort de vie pousse même certains portugais, les plus courageux, à entreprendre cette longue et périlleuse aventure à pied avec pour seul compagnon un sac à dos remplis de quelques objets de valeurs sentimentale et de quelques vêtements de rechange. C’est le cas de l’oncle d’ Armando qui est parti il y a déjà quelques années pour le Luxembourg. Un vieux fumeur célibataire qui aimait trainer dans les bars jusque tard le soir et boire jusqu’à ne plus s’en souvenir. Il vivait dans une maison qui s’apparentait davantage à un squat où même le minimum vital n’existait pas et qui bien évidement n’avait pas un seul escudo de coté, car il ne trouvait pas de boulot. Il lui a fallu sept longs mois de galère, d’épreuve à la limite du supportable, humainement parlant, en marchant douze heures par jour, du lundi au dimanche, pour atteindre son objectif.

Des millions de Portugais quittent ainsi le pays et Armando et Maria Helena en font partis du fait de la passion du jeune homme pour le fado. Un genre musical apparût dans les années 1830 environ dans les quartiers de Lisbonne. C’est une musique mélancolique au rythme lent, souvent joué avec des instruments à cordes pincées et accompagnée de chants. Les paroles sont souvent basées sur ce que les Portugais appellent la Saudade, le mal du pays pour résumer simplement. Mais le fado évoque aussi la nostalgie des morts… l’amour inaccomplie, la jalousie,l’ exil, ou encore les petites querelles de quartier. Ce type de fado appelé tragique est autorisé sous la domination de Salazare. C’est même le chant national du Portugal durant toute ses années à la tête du gouvernement. A l’inverse un autre type de fado est censuré, celui qui décriant les problèmes économiques, sociaux du pays ou qui se veut revendicatif. Le type de chant critiquant un système en place et que tout dictateur se respectant ne peut accepter sur son territoire. Et c’est justement pour cette raison que Armando et sa femme doivent fuir le pays. La police militaire traque ce genre d’individus qui sont vus comme rebelles aux yeux de la société et qui peuvent être puni pénalement. Le groupe dont Armando et Maria faisait partie a été démantelé et la cinquantaine d’individus qui le composait commencent à être arrêté depuis plus d’un an et demi. Ils avaient pour habitude de se réunir dans un café d’un quartier les moins huppés de Porto. Ils y donnaient des concerts, avaient créer des relations avec des personnes qui avaient les mêmes idéologies à savoir le mépris de la dictature. Armando à la chance d’être encore en liberté mais pour combien de temps… Fuir plutôt que d’ être jugé pour sa passion est l’unique solution.

Cela fait deux jours, désormais, que le couple navigue sur les flots de l’ Atlantique. Le soleil se couchant sur l’horizon leur offre un spectacle qu’ils avaient tant de fois partagé dans leur jeunesse sur les bords du Douro. Mais jamais ils en avaient profité depuis l’ océan. Ils s’aiment depuis qu’ils ont huit ans et se sont toujours promis de se marier à dix-huit ans. Dans un pays où la religion occupe une place primordiale dans la société, il n’y a rien de choquant de voir deux jeunes adultes se marier. Au contraire c’est un gage de stabilité et de sérieux de la part des époux. Accoudé sur la proue du bateau, Armando enlace sa dulcinée avec ses bras maigrichons. Il la serre fort… Si fort qu’elle peut sentir son cœur battre dans son dos. Silencieux, le regard perdu au loin… Les pensées évadées dans l’immensité de l’ océan. Ils laissent les bruits des vagues se fracassant sur la coque du bateau rythmer les caresses que l’un et l’autre s’échangent sur les mains. La brise du soir caressante leur visage provoque un joli mélimélo entre leurs cheveux. L’ étreinte qu’ils échangent leurs donnent l’impression d’être invincible ensemble… De pouvoir réaliser la moindre de leur envie… De faire face à n’importe quelle situation. Ils ne sont pas riches, loin de là même, mais Armando à déjà un boulot qui l’attend. C’est pour cette raison qu’ils ont choisis l’ Amérique du Sud comme terre d’ accueil. Le Vénézuela plus précisément.

Mais après tout ils sont ensembles. Et ils s’aiment. C’est pour eux la plus grande des richesses.
La nuit tombe et il fait de plus en plus noir, ils finissent par rentrer se coucher, ils leur restent encore six jours de traversée avant d’arriver à bon port.

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J’ai hâte de lire la suite :slight_smile:

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Merci beaucoup et ravi de te retrouver parmi mes lecteurs :heart_eyes:

Intéressant, on part sur de l’écriture, de la « romance », c’est rare aujourd’hui.

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C’est vrai que ca se fait rare. Je joue a fm depuis 2005 et c’est ce type de story qui me plaît vraiment le plus.
Ravi que ca te plaise :blush::blush: