Mercredi 17 avril 2030.
Voici plus d’un an que je n’ai pas écrit dans mon journal.
Entre temps, nous avons fini 2e du championnat derrière les invincibles Shivajians et gagné une coupe nationale. Puis nous avons perdu la super coupe contre ces même Shivajians. Ils ont une équipe incroyable et vont encore remporter le championnat cette année, pour la 3e fois consécutive. C’est un peu frustrant mais je n’y peux pas grand-chose. Je fais avec les moyens du bord, c’est-à-dire avec très peu.
Je ne sais pas par où commencer tellement il s’est passé de choses en un an. Déjà, le club a été vendu à un nouveau propriétaire qui en a profité pour faire un emprunt sur 10 ans. Un calvaire. Au niveau de la ligue nationale, nous sommes 2e tandis qu’en coupe d’Asie, nous sommes premiers après trois matchs. Il reste deux matchs à jouer en championnat et trois en phase de groupe de coupe continentale.
Ce soir, nous jouons à domicile contre la ville de Riffa située dans le royaume du Bahreïn. Je suis content car je suis allé faire un tour la semaine dernière dans notre centre de formation et les nouvelles pousses ont l’air de plutôt bonne qualité. J’ai notamment repéré un jeune gardien avec beaucoup de potentiel. Il est encore un peu frêle pour être titularisé en équipe première mais devrait être prêt pour l’année prochaine. Nous avons joué à Calcutta il y a trois jours donc je vais faire tourner ce soir. Je vais juste garder notre buteur, Sanju, en pointe.
Nous y voici. Shillong. 19h30. Vent faible. Stade plein. 36 degrés. L’ambiance électrique des matchs asiatiques. Riffa joue en bleu ciel et nous dans nos traditionnelles couleurs rouges. Je sens que la rencontre va être chaude. C’est parti !
1ère minute : James passe à Sanju qui tire. Son ballon s’en va largement au-dessus des buts adverses. 6e minute : un joueur de Riffa entre dans notre surface de réparation et marque. 1-0. Quelques instants plus tard, Lyngdoh décale Henry sur la droite. Egalisation ! Quel début de match. Je regarde ma montre. Nous jouons depuis 9 minutes à peine. 40e : James centre pour Henry. C’est le doublé ! 2-1 pour nous à la mi-temps.
Dans les vestiaires, mon adjoint rappelle que nous ne sommes pas les favoris, qu’il faut laisser la maîtrise du ballon à nos adversaires et jouer tous les coups à fond en contre comme nous l’avons si bien fait jusque-là. Il rajoute une petite touche subtile sur l’importance de faire un bon match pour nos supporters qui sont venus en nombre ce soir. 57e : je fais entrer Tuboi qui est un de nos meilleurs joueurs. C’est une grave erreur finalement car cela déstabilise tout notre bloc équipe. 67e : but adverse sur un contre venu de nulle part. 2-2 score final.
J’hurle de rage contre moi-même. J’ai envie de me taper la tête contre les murs du couloir qui même aux vestiaires. Mais c’est la vie. L’erreur est humaine. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Mais je relativise. J’essaie de me dire que ce n’est pas si terrible et que je ferais mieux la prochaine fois, que cela me servira de leçon.
Une fois calmé, je regarde le classement du groupe. Nous sommes toujours premiers. Je ne suis pas satisfait car nous pourrions avoir encore plus de points d’avance. Mais le principal est là. Nous avons fait un bon match avec une équipe bis sur le terrain. La qualification est toujours jouable. Et puis il faut penser au prochain match, dans deux jours, dans la petite ville montagnarde d’Aizawl.
En conférence de presse, la plupart des questions des journalistes tournent autour de la bonne prestation de Sanju et des rumeurs de son transfert pour Bombay. Je souris intérieurement de cette mascarade médiatique. Personne n’est au courant que nous avons rencontré le joueur cette semaine. Il nous a assuré qu’il re-signera pour nous à la fin du mois. J’essaie de centrer mon discours sur le match contre Aizawl qui est quand même 5e du championnat. Mais rien n’y fait, les journalistes aiment revenir à la charge sur les sujets qui font vendre du papier.
Bref, la soirée est bien avancée quand je rentre chez moi. J’y rejoins Swati, ma femme, qui me fait une scène. Il ne manquait plus que ça. Elle voudrait que sois plus souvent présent à la maison et en a marre de passer ses journées sans moi. J’essaie de la raisonner et de lui dire que c’est ça la vie d’un manager de football passionné, qu’il faut savoir faire des compromis. Elle se calme progressivement et comme souvent, notre désaccord se termine par une calme discussion sur l’oreiller. Je lui promet que je vais faire des efforts pour être plus souvent là tandis qu’elle met aussi un peu d’eau dans son vin en m’assurant qu’elle essaiera d’être moins impulsive. Sur ces belles paroles, elle s’endort dans mes bras ; ce que je déteste mais, ce soir, je la laisse faire. D’ailleurs je suis moi-même rapidement gagné par le marchand de sable. C’est ainsi que nous nous endormons, entrelacés et lovés chacun dans le corps de l’autre.