STORY : FILHO DO DRAGÃO
Vila Nova de Gaia, 1996
Le ballon roulait entre les flaques. Le sol était craquelé, les cages en tôle rouillée, les lignes dessinées à la craie. Mais Ricardo s’en fichait. Il avait 5 ans, et il ne jouait pas pour gagner.
Il jouait pour ressembler au FC Porto.
– “Ricardo! Entra, está a chover!”
(“Ricardo ! Rentre, il pleut !”)
– “Mais cinco minutos, mãe!”
(“Encore cinq minutes, maman !”)
Chaque après-midi, il enfilait son vieux maillot bleu et blanc – un faux, cousu par sa mère – et il criait les noms des joueurs comme s’il était au stade. Baía dans les cages, Jorge Costa à la relance, Deco à la création.
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Estádio das Antas, novembre 1998
Il pleuvait ce jour-là à Porto. Ricardo avait 7 ans. Son père l’avait emmené pour la première fois au stade. Pas pour s’asseoir : ils étaient debout, tout en haut, dans le vent et l’odeur de sardine grillée.
– “Olha ali, número 2. Jorge Costa. Capitão. Um animal.”
(“Regarde là-bas, le numéro 2. Jorge Costa. Le capitaine. Un animal.”)
– “E aquele? O 10?”
(“Et celui-là ? Le 10 ?”)
– “Esse é o Deco. Vai-te fazer sonhar.”
(“C’est Deco. Il va te faire rêver.”)
Et c’est ce qu’il a fait. Même à 7 ans, Ricardo comprenait que ce joueur n’était pas comme les autres. Chaque contrôle, chaque passe, c’était de la musique. Il était tombé amoureux.
Amoureux du maillot bleu et blanc, ce jour là, ricardo est devenu un fils du dragon de Porto.
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Vila Nova de Gaia, 26 mai 2004
13 ans. Un âge où l’on croit encore que tout est possible. Ricardo était assis au sol, devant la télé. Maillot bleu et blanc sur les épaules, il n’avait pas bougé depuis le matin. Pas de PlayStation, pas de devoirs. Juste l’attente. Ce soir, Porto jouait la finale de la Ligue des Champions.
– “Hoje é o dia. Sente-se, filho.”
(“Aujourd’hui c’est le jour. Assieds-toi, mon fils.”)
Le match commence. Le cœur de Ricardo bat trop fort. Il serre une vieille écharpe du club contre lui, comme un talisman.
Minute 39. Contre-attaque. Deco glisse un ballon parfait dans la surface. Carlos Alberto frappe fort. 1-0.
Ricardo se lève d’un bond.
– “GOOOOOLLLLL!!”
Son père le rattrape avant qu’il ne renverse la table.
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Deuxième mi-temps. Porto joue avec le feu. Mais ils tiennent. Et puis, minute 71. Derlei récupère, sert Deco. Contrôle, frappe pied droit. 2-0. Le cri de Ricardo devient sanglot. Il pleure, debout, les bras levés.
– “É o Deco, pai… é o Deco…”
(“C’est Deco, papa… c’est Deco…”)
– “Vai ficar para sempre. Lembra-te disso.”
(“Ça restera pour toujours. Souviens-toi de ça.”)
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Minute 75. Monaco est KO. Porto pousse encore. Passe lumineuse de Deco. Alenichev ne tremble pas. 3-0.
Silence dans le salon. Pas un mot. Même la mère de Ricardo s’arrête de tricoter. Sur l’écran, José Mourinho court sur la pelouse. Les joueurs tombent dans les bras les uns des autres. La légende est née.
Ricardo n’oubliera jamais cette nuit.
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Quelques jours plus tard, ricardo, calme dans sa chambre.
Sur le mur, il a accroché la une de A Bola. Deco, Maniche, Costinha, Baía, Ricardo Carvalho… tous là. Des héros. Il les connaît tous par cœur. Il dort avec l’écharpe du club autour du cou. Il se lève avec une seule idée.
– “Eu nunca vou jogar como eles… Mas posso pensar como eles.”
(“Je ne jouerai jamais comme eux… Mais je peux penser comme eux.”)
Il commence à écrire dans un vieux cahier. Formations, idées, mouvements, combinaisons.
À 13 ans, Ricardo Teixeira commence à penser comme un entraîneur, comme un certain Mourinho.
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10 ans plus tard au funérailles de son père.
Son père est parti trop tôt. Ricardo a 23 ans. Il porte le costume que sa mère lui a préparé, trop grand pour lui. À la fin de la cérémonie, elle lui glisse une enveloppe.
“Teu pai escreveu isto para ti.”
(“Ton père t’a écrit ça.”)
Au dos, une seule phrase :
“Para abrir quando estiveres pronto.”
(“À ouvrir quand tu seras prêt.”)
Ricardo la range dans son sac. Et ne l’ouvre pas.
Quelques heures après les funérailles Ricardo accompagne sa mère chez elle et repasse entrouvrent la porte de sa chambre,
Le mur est toujours là. Le poster aussi. Les visages ont jauni, mais les émotions non.
Ricardo fixe l’enveloppe. Toujours fermée. Il la prend, la caresse du doigt, puis la repose.
– “Ainda não… Mas um dia.”
(“Pas encore… Mais un jour.”)