
18 mai 2011, Dublin, Aviva Stadium.
A l’annonce du temps du temps additionnel de la seconde mi-temps l’ambivalence des réactions des supporters font résonner le stade entier, le faisant entrer dans une fusion volcanique de cris, d’applaudissements et d’encouragement pour les supporters de Braga et de hués pour les supporters de Porto qui auraient aimés voir une ou deux minutes en moins.
Un coup d’œil rapide sur le grand écran du stade me permet de constater que nous entrons à l’instant dans les arrêts de jeu. Sur notre banc staff et joueurs se lèvent pour ne former qu’une ligne se tenant par les épaules. A ma droite Beto le gardien remplaçant, à ma gauche Vitor Perreira l’autre entraineur adjoint. Une seule personne ne complète pas le la famille FC Porto, c’est André. Debout lui aussi, à la limite de la ligne de touche, comme le serait un officier militaire devant ses troupes alignaient au garde à vous. Il parait calme, se contentant de regarder ce qui ressemble maintenant à un siège de notre surface de réparation. De toute façon il ne parviendrait pas à se faire entendre dans ce brouhaha infernal. Malgré son apparente décontraction je sais qu’il bouillonne et qu’il n’attend que les trois coups de sifflet final.
Un nouveau coup d’œil au tableau d’affichage. Encore deux minutes trente… Un sentiment de nostalgie se mêle soudain à la l’euphorie ressentie jusqu’à présent. Je me rappelle de quasiment chaque journée de cette saison. De la première journée de stage de pré saison jusqu’à hier soir, je n’ai l’impression que seules quelques semaines se sont écoulées. Pourtant je sais déjà ce que réalise la conquête de cette Ligue Europa, le dernier de la saison. Cela signifie le départ de Villas-Boas. Il me l’a avouait à demi-mot hier soir durant la mise au vert à l’hôtel.
André aime se confier à ses adjoints, il nous ne cache rien. Un contrat avec Chelsea l’attendrait déjà. Le richissime millionnaire russe du club londonien se serait engagé auprès de Pinto da Costa, le président emblématique du F C Porto à débourser les 15 millions d’euros nécessaires pour activer la clause libératoire de celui que tout le monde surnomme déjà le special “two”.
Une minute trente à tenir, nous sommes acculés. Je me rapproche d’André afin de lui glisser un conseil à l’oreille. Il me regarde, acquiesce par un simple regard et profite d’un corner en faveur de Braga pour glisser la consigne :
-Radamel redescend défendre pour apporter ton jeu de tête et dis à James de prendre ta place seul en pointe.
Je rejoins ma place dans nos rangs en regardant le public, leur ordonnant de nous encourager davantage, serrant mes poings à hauteur du visage comme si je savais que cette aide du fameux douzième homme était ce qu’il fallait pour sceller notre succès.
Encore trente secondes à jouer, et un ultime coup-franc sifflé contre nous. La pression est à son summum. André est furieux de cette faute inutile. Le gardien adverse est monté. L’arbitre siffle, le ballon s’élève, atteint l’entrée de la surface. Les duels sont âpres… certains se jettent au sol en cherchant désespérément le pénalty… Artur le gardien de Braga est à la réception du centre, il dévie le ballon qui finit sa course dans les bras de Helton qui fait un plongeon qui régalent les supporters nos supporters, un peu moins ceux des adversaires. Helton prend son temps pour se relever et pour dégager provoquant la fureur des joueurs et spectateurs adverses. L’arbitre regarde sa montre porte le sifflet à sa bouche et fait retentir les trois coups de sifflets annonçant la fin du match et qui résonnent pour nous comme la sonnerie d’école libérant les enfants pour les vacances de Noel.
Joueurs et staff envahissons le terrain. Les étreintes sont nombreuses, les larmes le sont tout autant. André tombe dans mes bras… il me remercie… Je le félicite pour le travail accompli. Pour ce qu’il vient d’accomplir… Cinq trophées en un saison, seul José Mourinho l’avait réalisé. Il n’y a désormais plus aucun doute, André est bien le special two.
Le protocole de remise du trophée passé, nous entamons un tour d’honneur pendant lequel nous commençons à peine à réaliser l’exploit que nous venons de réussir. Aux côtés d’André nous saluons les supporters :
-Bravo André vraiment tu es un entraineur exceptionnel. Je suis honoré d’avoir était un de tes adjoints durant toute cette saison. Je te remercie de m’avoir donné ta confiance et ainsi l’opportunité de mettre un pied et demi dans le monde du football. J’aurai aimé que tu restes la saison prochaine, pour continuer avec cette équipe… Mais je comprends ta décision, Chelsea est un club qui ne refuse pas et particulièrement pour toi qui à une histoire commune avec l’Angleterre. Et je voulais te souhaiter bon courage pour la suite de ta carrière.
-Ecoute Guilhermo, profitons du moment, savourons-le on a travaillé dur pour en arriver là. Demain matin retrouve moi au Majestic on prendra le petit-déjeuner, je dois te parler. On se dit dix heures pétantes.
Acquiesçant d’un signe de tête nous retrouvons tout le groupe pour la première photo avec cette Ligue Europa. La joie est visible, il y a une vraie cohésion entre les joueurs, et avec tous les brésiliens et portugais dans l’équipe la nuit promet d’être festive, longue et alcoolisé…
C’est avec les paupières lourdes, la bouche pâteuse et la gorge complètement déshydratée que la voix aigüe d’ Amalia Rodrigues entonnant “Grandola, Vila morena”, chant devenu célèbre après la révolution des œillets qui a vu la dictature salazariste disparaître au Portugal, m’extirpe de mon douloureux réveil. Un difficile coup d’œil sur le portable me permet de constater qu’il s’agit du troisième rappel et que je suis donc en retard… Un café rapide, une douche express et une coiffure plus que douteuse plus tard, je me jette dans mon Rover Evoque en direction du centre-ville de Porto.
A mon arrivée André est déjà assis feuilletant la presse sportive qui relate bien évidemment notre conquête européenne de la veille.
-Pardon André je suis en retard, j’ai eu quelques difficultés à me lever.
-Ne t’en fais pas j’étais moi-même en retard, et puis dans l’état dans lequel tu es rentré hier soir je m’y attendais.
-C’était moche à ce point ?
-Guilhermo, tu as harcelé une femme pour qu’elle accepte de danser la lambada avec toi…
-Où est le problème ?
-C’était LMFAO qui passait à ce moment-là…
-Effectivement… Je t’avoue que j’ai quelques trous de mémoire…
-Au vu de l’état de certains tu ne dois pas être le seul…
Un blanc s’installa le temps que nous regardions la carte.
-Monsieur Villas-Boas, Monsieur Rabaco ! Félicitations pour votre victoire hier, vous avez rendu fier la ville entière. Je vous sers la même chose que d’habitude je suppose pourquoi encore regarder cette carte que vous connaissez déjà par cœur ? Deux cafés avec quatre Pasteis de Belem !
André et moi validons cette proposition. A vrai dire c’était plus un réflexe que de regarder cette carte. Nous la survolons uniquement pour s’assurer que rien de nouveau n’y figure. Nous sommes des habitués des restaurants.
-Guilhermo, si je t’ai fait venir et que je n’ai pas voulu parler de ça avec toi hier soir c’est parce que je préférais être au calme. Comme tu sais je vais partir à Chelsea la saison prochaine. Je l’annoncerai d’ailleurs aux joueurs en fin d’après-midi. Je voulais savoir ce que tu comptais faire toi de ton côté.
- Pour te dire vrai je n’en sais rien du tout, je ne me suis pas trop préoccupé de ça durant la saison, tu ne m’en as pas laissé le temps.
André manqua de recracher la gorgée qu’il venait de prendre en bouche.
-Je pense que je vais attendre de voir qui sera nommée entraineur de l’équipe première et voir si je peux entrer dans un nouveau projet avec cet entraineur.
-J’ai discuté avec le président et je sais qui va être nommé. Il s’agit de Vitor Perreira mon autre adjoint. Il connaît la maison depuis longtemps en ayant entrainé déjà les équipes juniors. Et je sais aussi, pour en avoir parlé avec lui, qu’il a carte blanche pour constituer son staff. Il est apprécié du président et va sans doute prendre des mecs avec qui il a déjà bossé avant à Santa Clara ou à Espinho.
-Bon ben voilà comme ça au moins je sais déjà que je ne serais pas ici la saison prochaine.
L’intonation de ma voix et mon sourire ironique trahit la dédramatisation que je voulais donner à la scène.
-Ecoute, il peut être temps pour moi de rentrer en France André ou peut-être de trouver une sélection espoir.
Je ne sais pas quels sont les projets de la fédération à ce sujet. Je vais sans doute me renseigner.
-Tu es talentueux Guilhermo, ce qu’on accomplit cette année je n’aurai pas pu le faire sans toi. Quand je suis venu te chercher en début de saison tu venais de nulle part. Personne ne te connaissais mais, je me suis renseigné sur toi, sur les résultats que tu as obtenus durant tes formations pour obtenir les diplômes. Ce qui m’a convaincu c’est ta connaissance et ta précision dans le domaine tactique. Je me revoyais moi des années auparavant, à tout décortiquer, tout analyser, faire des notes pour tout et pour rien. Je ne pense pas que prendre le risque de te griller avec une sélection jeune soit le meilleur des plans. Tu es jeune, plein d’ambition, comme je l’étais également. J’ai entrainé les Iles Vierges britanniques durant quelques temps quand j’avais 23 ans. Au final je n’ai fais que deux matchs pour deux défaites. La sélection n’ait pas la meilleure des solutions quand on est un jeune entraineur. Il n’y a pas assez de matchs dans l’année et tu ne côtois pas assez les joueurs. Si cela te laisse le temps de te concentrer sur l’aspect tactique, tu ne progresseras pas assez dans la relation avec les joueurs au quotidien, faire face aux différents tempéraments, tu ne progresseras pas en tant que personne… Je pense que j’ai beaucoup mieux à te proposer. Quand j’ai signé mon contrat avec Chelsea, j’ai réussi à obtenir de la part du président Abhramovic, de pouvoir monter l’équipe technique avec laquelle je souhaite évoluer. Et au vu de cette saison j’aurai souhaité prendre toi et Vitor pour m’accompagner. Mais Vitor a déjà accepté le poste à Porto. Je te propose donc de venir avec moi à Londres. Cela te fera connaître un nouveau championnat, de nouveaux joueurs et ainsi continuer ton apprentissage et ta progression. On dirigera certains des meilleurs joueurs au monde comme Terry, Lampard, Drogba. Je n’ai pas envie que tu crames à faire n’importe quoi. Si tout le monde dit que je suis dans la lignée de Mourinho, toi, Guilhermo tu l’es tout autant, crois-moi. Viens avec moi à Londres je te propose le poste d’adjoint.
Voilà une proposition à laquelle je ne m’y attendais pas. Un peu abasourdit par cette nouvelle je tente tant bien que mal de reprendre mes esprits.
-Merci André, merci pour tout ce que tu viens de dire. Merci pour ta proposition également, qui me touche et qui est plus qu’intéressante. Mais… Mais je ne sais pas il faut que je vois avec ma femme aussi. Elle était déjà mal de venir me rejoindre il y a un an, laissant du coup toute sa famille en France… Là elle avait repris enfin ses habitudes, elle se faisait à la vie à Porto. Il y avait aussi mes grands-parents ça l’aide beaucoup… Et moi aussi d’ailleurs… Ici c’est ma ville, c’est mon club. Depuis mon enfance je rêvais de jouer ou de m’asseoir dans ce stade. Ça fait à peine une année que je suis là, je ne suis même par certains de vouloir partir autre part, même si je venais à y être obligé. Je peux peut-être voir s’il n’y a pas une place dans les équipes jeunes, ou même un poste au centre de formation.
-Je comprends ce n’est pas évident. J’aime cette ville et ce club depuis des années aussi. Je ne veux pas te forcer la main, mais même un poste à la formation n’entre pas dans le plan de carrière que tu dois tracer. Un jour tu reviendras ici, ça sera pour prendre les rênes de l’équipe A fais-moi confiance. Je connais le président Pinto il t’apprécie mais tu es trop jeune, tu manques de maturité, d’expérience dans certains domaines. NE le prends pas mal. Avec les années de football qu’a le président il sait reconnaître quand un jeune entraineur a du potentiel. Et il me l’a avoué, il sait ce que tu vaux. Prends juste le temps de connaître ce milieu si particulier qu’est celui du football, de connaître mieux ce rôle ingrat qu’est celui d’entraineur. Si tu bosses et que tu es consciencieux comme tu l’a étais cette année tu pourras prétendre à devenir un jour entraineur principal du F.C.Porto.
Le discours d’André me convainc presque d’accepter immédiatement. Après tout je serai au chômage dès début juillet mais je me dois bien évidemment d’en informer mon épouse. Ce sont des décisions que l’on doit prendre à deux.
-Prends ton temps pour y réfléchir et donne-moi ta réponse début de semaine prochaine.
Le soir venu je parle de la proposition qu’André m’a faite à ma femme. La discussion est brève. Elle est d’accord, elle me conseille d’accepter de suivre André et m’encourage à continuer ma progression. Elle est aussi enchantée de pouvoir vivre à Londres, une des plus belles villes du monde, d’après ses dires. L’opportunité de pouvoir faire du shopping dans la capitale anglaise l’enchante au plus haut point.
Assis sur ma terrasse, avec cette vue magnifique, sirotant un Porto rouge datant de bien avant ma naissance, je saisis mon IPhone 3GS et tape dans un anglais parfait ces quelques mots: IT’S OK FOR ME.
La décision de notre départ aux joueurs a une grosse émotion notamment chez Falcao qui part sous d’autres cieux.

Nous sommes mi-juin l’air humide de Londres à notre arrivée sur le tarmac contraste fortement avec la chaleur étouffante de Porto deux heures auparavant. Le temps typiquement british qui nous accueille me plonge d’entrée dans ma nouvelle vie. André lui est ravie est ça se voit au sourire qu’il affiche à la descente de l’avion. Le taxi mis à notre disposition par le club se dérobe par une sortie bis de l’aéroport, échappant ainsi aux différents paparazzis venus nous recevoir. Il nous conduit tout droit vers notre hôtel qui sera notre résidence temporaire. Quelques minutes plus tard c’est devant Stamford-Bridge que nous passons, notre nouvel antre. Bien qu’habitué aux différents stades celui-là ne me laisse pas insensible rien qu’à l’idée de pouvoir exercer dedans. Et c’est à peine deux minutes plus tard que le taxi coupe son moteur sur Fulham Road en nous indiquant que notre destination est atteinte. Le temps de déposer nos valises que nous sommes attendu par le richissime millionnaire dans son bureau du stade.
La première rencontre avec le président se passe plutôt bien, c’était la première fois que je le rencontrais. Passé diverses formalités comme la signature de mon contrat, Roman Abramovich nous explique le programme des prochains jours. Entre conférence de presse, présentation aux sponsors, repas avec toute la direction, présentation aux joueurs et préparer le programme de la reprise ces prochains jours seront très actifs et très intenses.