Je le tiens entre mes mains, alors qu’il est si fragile. Cela fait déjà deux semaines qu’il est entré dans ma vie, et pourtant, je n’arrive toujours pas à m’y faire. Alors que sa mère dort paisiblement dans notre lit, et que les premiers rayons du soleil commencent à poindre doucement au dessus de l’horizon, je ne peut m’empêcher de le regarder dormir dans son berceau.
Doucement, je le prends dans mes bras, il reste profondément assoupi, ce morceau de ma chair. En regardant la rue par la fenêtre, la pauvreté qui nous entoure, la crasse, la noirceur de la ville, je me dis que mon fils ne doit pas vivre ainsi. Je me fais la promesse qu’il aura la plus belle des vies, loin de la misère de ce pays.
Je me rappelle ce magnifique texte de Kipling, ce poème qui représente tout ce que je souhaite pour mon fils. Alors qu’il dort au creux de mon bras, je commence à le lui réciter :
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie, et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties sans un geste et sans un soupir,
Si tu peux être amant sans être fou d’amour ; si tu peux être fort sans cesser d’être tendre
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour, pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles, sans mentir toi-même d’un seul mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire, si tu peux rester peuple en conseillant les Rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères, sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître, sans jamais devenir sceptique ou destructeur
Rêver, sans laisser ton rêve être ton maître, penser, sans n’être qu’un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage, si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu peux être bon, si tu sais être sage, sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer triomphe après défaite et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête quand tous les autres les perdront ;
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire, tu seras un Homme, mon fils.
Alors que je termine, il ouvre ses yeux, et je sens une nouvelle force en moi. Qu’importe ce que je devrais faire, les épreuves que je devrais subir, qu’importe si je dois me baigner jusqu’au cou dans la merde, le sang, ou que sais-je encore, mon fils aura tout ce dont il aura besoin, je l’arracherais de ce bouge infâme ou nous vivons tous les trois, et il connaitra les joies du soleil, des grands espaces, de la liberté.
Je sens une main sur mon épaule : ma femme nous a rejoins, un grand sourire aux lèvres. Je suis entouré des deux seules choses qui compte pour moi dans la vie. Elle qui m’a sauvé, moi dont la vie se dirigeait droit vers la mort dans une impasse sordide, moi qui pensait que la violence était la seule solution pour s’en sortir. Je pensais qu’elle m’avais fait le plus magnifique des cadeau en devenant ma femme, mais cet enfant est le don le plus précieux que j’ai reçu de la vie.
A moi de tout faire pour préserver ce bonheur le plus longtemps possible, par n’importe quel moyen . . .