Juin 2020, Datcha Putina, Sochi
Le saison 2019/20 russe terminée, j’avais pris quelques congés du côté de la ville Olympique. Toujours olympique disons, nostalgique de ce passé glorieux, cette année 2014 où Sochi rayonnait de mille feux à travers le Monde. Tout cela semble bien loin maintenant… Le décor est resté, par endroit, et s’est étiolé à d’autres. Je repasse de temps à autre, avec une mélancolie non feinte, sur la place où le service d’ordre olympique mandaté spécialement par le Tsar, les cosaques, avait asséné de coups de knout bien sentis aux Pussy Riot, un groupe de punk russe écervelé… Souvenirs, souvenirs…
Si la ville a perdu de son attrait international, le président n’en a cure, son but n’était pas tant touristique que commercial :
« Sochi était avant tout un Forum Économique, Beaubienov, comme celui de Saint-Pétersbourg. Combien ont coûté les Jeux ? Aucune idée. Des milliards. Des milliards de dollars bien sûr, pas des Roubles. Mais quelle vitrine ! C’est avec de tels événements qu’on construit des gazoducs à travers les continents. C’est en 2014 que la Xi Jinping a compris que le vrai maître du Monde, c’était moi, pas la lavette qui jouait les Don Quichotte à Washington. Puis je peux bien vous le dire maintenant : le goujat qui l’a remplacé, c’était un peu ma créature. Quand vous alliez le génie informatique russe avec la crédulité doublée de bêtise de l’Américain moyen, ce fut un jeu d’enfant de truquer ces élections. »
Au fil de mes visites à Guelendjik, le président devient de plus en plus expansif. Maintenant qu’il se sait intouchable jusqu’en 2036, il n’a plus besoin de trop se cacher, surtout devant ses plus proches collaborateurs, ses hommes de confiance, ses Coryphées, dont je suis. On peut dire que j’ai pénétré le cercle très fermé du président, sans cris et sans douleur, et sans m’emmerder !
Mais qui est ce proche de Vladimir Poutine, ce Mark Beaubienov ?
Il se dit qu’il fut, au courant des années 2000, l’entraîneur du Luch Vladivostok, sa ville natale située aux confins de la Sibérie, plus à l’Est que la Chine, à la frontière Nord de la Corée du Nord. Or, les archives de la Fédération ne font mention de son nom nulle part, on y trouve plutôt un certain Andreï Popov, mort prématurément en 2008. Pourtant, certains témoins se rappellent de lui, et l’ont reconnu, il y a quelques années. Des médias se sont intéressés à l’affaire mais les témoins se sont tous rétractés, sauf leur chef retrouvé pendu avec deux balles dans la tête. L’enquête conclut à un suicide. Nous ne saurons sans doute jamais le fin mot de l’histoire…
Nous retrouvons ensuite sa trace au Canada, en 2009. Cette fois, il s’appelait Beaubien et possédait un passeport canadien. Il fut alors coach d’une équipe de Soccer dans un collège huppée de Calgary, en Alberta. Simple étape avant une progression fulgurante ! La même année, il fut propulsé entraîneur-adjoint, puis entraîneur-chef du Toronto FC, fraîchement arrivé en MLS. Il passa ensuite par l’Impact de Montréal pour atterrir en 2015 à la tête du D.C. United, l’équipe de la ville de Washington.
Son idylle dans la capitale états-unienne, à quelques encablures de la Maison Blanche, ne dura que deux ans et demi. En effet, au printemps 2017, alors que les allégations d’ingérence russe dans les élections de 2016 prenaient de l’ampleur, le FBI et la CIA participaient à une véritable chasse aux sorcières au sein de la diaspora russe. Beaubien, qui avait été photographié auprès de Donald Trump en train de jouer au golf à Mar-A-Lago en pleine campagne présidentielle, fit l’objet d’une enquête. Ses généreux dons à la campagne du candidat républicain, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions de dollars soit plus de 50 fois son salaire annuel, avaient attiré l’attention. Rapidement, des liens furent faits entre lui, le généreux donateur et l’ami du nouveau président américain, Beaubien, avec le proche du FSB au nom sensiblement pareil : Beaubienov. Suivirent des clichés datant de 2008 montrant le Canadien, en boisson et en Speedo, sur le yacht de Vladimir Poutine, une Baltika à la main.
Espion ? Agent double ? Victime d’une odieuse machination ? Quoi qu’il en fût, on perdit alors sa trace… Il se dit qu’il fut exfiltré de manière rocambolesque avec l’aide de complices, le célèbre couple d’espions Nadezhda et Mischa, qui eux durent également fuir le pays quelques temps plus tard.
Mais cessons là les conjectures et autres billevesées dignes d’un film d’espionnage. Tout cela n’est que légendes et contes pour bonnes femmes ! Revenons au présent.
Selon la version officielle du Kremlin, la seule et unique digne de confiance, Mark Beaubienov n’a jamais entraîné Vladivostok et n’a jamais mis les pieds en Amérique. Il est en fait un citoyen russe modèle, diplômé de l’université de Krasnodar. Il passa ensuite quelques années au Cap, en Afrique du Sud, avant de revenir fortune faite en Russie pour devenir haut-fonctionnaire à Oimiakon, puis responsable de la préservation de l’Environnement à Norilsk. Malgré le climat rude de ces deux villes sibériennes, il a à chaque fois fondé un club de Football local. Son talent a été vanté jusqu’à Moscou où il prit les rênes du Torpedo, alors pensionnaire de FPL (la D2 russe) en juin 2017. Après trois ans passés à la tête du parent pauvre des clubs de la capitale, le Torpedo fait partie maintenant des clubs de milieu de tableau de la Première Ligue Russe.
Nous sommes en juin 2020, le club a terminé sixième, aux portes de l’Europe, mais le contrat du coach n’a pas été prolongé, car le Maître du Kremlin a d’autres desseins…
« Mon cher ami, il est temps pour vous de reprendre du service. Cette fois, la cible ne sera pas l’Amérique du Nord, mais bien l’Union Européenne. Tout est prêt, vous prenez vos nouvelles fonctions dans quelques semaines. Je sais, cela vous peine de quitter une fois encore notre bien-aimé Mère-Patrie, lioubimaya nacha strana, mais sachez que tous vos efforts seront récompensés. »
Je savais que ce moment viendrait. Depuis des mois, je savais que je devrais très probablement repartir pour l’étranger. La destination m’était évidemment connue puisque j’avais dû perfectionner mes connaissances de la langue de mon nouveau pays d’accueil. Je savais que je ne serais pas dépaysé. Ce serait une base de lancement idéale pour débarquer sans éveiller le moindre soupçon au beau milieu de l’Union Européenne. Je n’avais même pas changé de nom cette fois, ni de passeport : j’étais Mark Beaubienov, Russe. Si l’Américain est candide, que dire des Européens !
« Surtout, Beaubienov, tâchez de ne pas faillir à votre mission. »
Ce sont les derniers mots que le président m’a confiés avant de monter dans la limousine qui devait me conduire à l’aéroport international de Sochi, pour prendre le Tupolev d’Aeroflot en direction de Budapest où un ami du président, un certain Viktor, m’attend.
Il a, paraît-il, un poste taillé sur mesure pour un homme de mon rang !
Au moins, le président avait eu l’heur de me choisir des professeures de langue très douées et convaincantes… Polyglottes en plus car la plupart connaissaient le français, pour avoir tourné à Paris… Mais qui est donc ce Marc Dorcel ?
Mark Beaubienov reprend du service ! Mission Europe !